Par Mathilde Giard
Alors que le festival de Cannes déroule son tapis rouge du 11 au 22 mai sur la côte d’Azur, gros plan sur le cinéma latino-américain, présent dans la sélection officielle. Le septième art poursuit son essor entamé depuis près d’une quinzaine d’années au pied des Andes, de l’autre côté de l’Atlantique. Demandez le programme…
Sous les sunlights cannois
Un film brésilien figure dans la sélection officielle du festival de Cannes, dont le clap de départ sera donné le 11 mai prochain sous les sunlights : Aquarius. En lice avec Woody Allen, Pedro Almodovar et Sean Penn, Kleber Mendonça Filho présente son deuxième long-métrage après, en 2012, Les Bruits de Recife – sa ville natale -, alors classé parmi les meilleures productions de l’année par le New York Times. Le cinéaste dresse le portrait de Clara, critique musicale à la retraite, issue de la bourgeoisie, qui habite dans une résidence nommée… Aquarius, au bord de l’océan. L’immeuble suscite la convoitise d’un promoteur immobilier. La sexagénaire refuse de déménager et se retrouve au cœur d’un thriller social, dans un quartier middle class pris dans un engrenage sécuritaire. Elle est interprétée par Sônia Braga, surnommée dans les années 1980 la « Marilyn Monroe de l’Amérique du Sud ». L’actrice donne la réplique à Humberto Carrao, Irandhir Santos et Maeve Jinking.
Dans la sélection « Un certain regard », c’est cette fois l’Argentine qui est en lice, avec La Longue nuit de Francisco Sanctis, de Francisco Marquez et Andrea Testa, avec Rafael Federman et Valéria Lois, adapté du roman de Humberto Costantini. A Buenos Aires, en 1977, en pleine dictature militaire, un employé modèle reçoit un coup de téléphone d’une ancienne amie d’université qui va le placer au cœur d’un conflit personnel : doit-il essayer de sauver la vie de trois inconnus, au risque de perdre la sienne ? Ces derniers risquent d’être arrêtés par la police politique et emmenés dans les sous-sols de l’école de mécanique de la Marine, alors haut-lieu de la torture. Une longue nuit, haletante, s’annonce…
Enfin, dans la catégorie courts-métrages, deux des six œuvres retenues proviennent du continent latino-américain : Mère, du Colombien Simón Mesa Soto, né à Medellin, Palme d’or du court-métrage en 2014 pour Leidi ; et La jeune fille qui dansait avec le diable, de João Paulo Miranda Maria, jeune réalisateur brésilien. Celui-ci avait déjà été sélectionné à Cannes, en 2015, à la Semaine de la critique avec Command Action.
Une Mostra de Venise fructueuse
II ne reste plus qu’à croiser les doigts pour que le succès soit le même qu’à la Mostra de Venise, en septembre dernier. Présidé par le Mexicain Alfonso Cuaron, le jury avait récompensé l’audacieuse jeune garde sud-américaine : le Lion d’or pour Les Amants de Caracas (Desde allà), premier film du Vénézuélien Lorenzo Vigas, et le Lion d’argent pour El Clan, de l’Argentin Pablo Trapero.
Il faut dire que le lauréat, Lorenzo Vigas, avait su bien s’entourer. Son âpre histoire de solitude et de sexe entre deux hommes a été scénarisée par le Mexicain Guillermo Arriaga, Palme d’or du meilleur scénario à Cannes en 2005 pour Trois Enterrements, avec Tommy Lee Jones, comptant aussi dans sa filmographie Babel, avec Brad Pitt, ou 21 grammes, avec Benicio del Toro, né à Puerto Rico. Le rôle principal est, quant à lui, tenu par l’emblème du cinéma latino-américain indépendant et engagé, le Chilien Alfredo Castro, face à un acteur de 19 ans, Luis Silva, jugé magistral dans le rôle d’un adolescent violent et charismatique.
Grand succès en Argentine en 2015, El Clan dresse le portrait glaçant des Puccio, une famille bourgeoise à l’apparence normale mais spécialisée dans le kidnapping des personnes fortunées, à Buenos Aires, au début des années 1980, entre dictature et démocratie. Neuvième film de Pablo Trapero, 43 ans, et coproduit par Pedro Almodovar, le thriller est inspiré d’une histoire vraie. Il décline aussi le thème de la paternité, entre un fils, star montante du rugby, et son père, ancien des services secrets qui entraîne ses proches dans une spirale de violence. Tel l’incarnation de la banalité du mal, insensible et sans remords après avoir participé aux crimes de masse de la dictature…
Au top à Hollywood
Le scénariste mexicain Guillermo Arriaga, précédemment cité pour Les Amants de Caracas, a longtemps travaillé en cheville avec son compatriote Alejandro González Iñárritu, réalisateur vite repéré au-delà de son continent… En 2006, ce dernier avait remporté, pour Babel, le prix de la mise en scène à Cannes, le Golden Globe du film dramatique et l’oscar de la meilleure musique à Hollywood. L’acteur Gael García Bernal, qu’il avait révélé dans Amours Chiennes, en 2000, reçoit le prix d’interprétation à Cannes, en 2010, dans son Biutiful. En 2014, son Birdman, avec Michael Keaton, caractérisé par un seul plan séquence en deux heures, est couronné de quatre Oscars, en 2015 – meilleur film, meilleur réalisateur, meilleure photographie et meilleur scénario original. Dernier coup de maître d’Alejandro González Iñárritu : The Revenant, sorti cet hiver, qui lui permet de décrocher, deux fois de suite, l’oscar du meilleur réalisateur, et d’offrir à Leonardo DiCaprio sa première statuette de meilleur acteur, tant attendue.
Nombreux festivals en France
Il n’y pas que Cannes… De nombreux festivals sont consacrés au cinéma latino-américain dans l’Hexagone, dont suit une sélection non exhaustive.
Le mois de mars a été prolifique. A Toulouse, Cinélatino a été un nouveau succès, les 29e rencontres déjà programmées pour le printemps prochain, du 17 au 26 mars 2017 (www.cinelatino.fr). Les 32e éditions des Reflets du cinéma ibérique et latino-américain ont eu lieu à Villeurbanne, près de Lyon, prochaine édition du 15 au 29 mars 2017 (www.lesreflets-cinema.com). Un film espagnol, Hablar, de Joaquín Oristrell, y a remporté le prix du public d’un souffle devant le film péruvien Magallenes, de Salvador del Solar. Ce dernier a recueilli davantage de succès à Marseille, fin mars, à la 18e édition des rencontres du cinéma sud-américain (cinesudaspas.org), où le prix du meilleur acteur est revenu à Damian Alcazar, qui incarne Magallanes, personnage principal du film éponyme. Reste du palmarès de cette manifestation provençale : Colibri d’or (meilleur film) à Les vaches à lunettes, d’Alex Santiago Pérez, de Puerto Rico ; prix spécial du jury à Le commencement du temps, du Mexicain Bernardo Arellano ; prix de la meilleure actrice à la Brésilienne Fernanda Rocha, dans O Ultimo Cine Drive-In, d’Iberê Carvalho ; prix du court-métrage à Extrême – Voyage à Karukinka, argentin, de Federico Molentino et Juan Manuel Ferraro. En avril s’est tenue la 18 édition du film brésilien de Paris au cinéma l’Arlequin (festivaldecinemabresilienparis.com/2016/).
Prochain rendez-vous : le « festival Biarritz – Amérique latine cinéma et cultures » qui fêtera ses 25 bougies du 26 septembre au 2 octobre (www.festivaldebiarritz.com).
Un premier article, paru en mars 2013 sur le site de la Cotal (voir ce lien), retrace plus d’un siècle d’histoire du cinéma latino-américain.