Les telenovelas, l’autre religion de l’Amérique Latine

 

Partir en voyage, c’est parcourir des paysages inconnus, découvrir des coutumes traditionnelles, s’intéresser à l’histoire d’un pays… mais aussi s’ouvrir à la culture de l’autre, aux habitudes qui ponctuent le quotidien des gens, aux centres d’intérêt qui rassemblent.
L’Amérique latine évoque le Machu Picchu, les histoires Incas, la culture du café, les traditions religieuses, les gauchos argentins, le carnaval, les Caraïbes… mais il existe un autre aspect culturel souvent oublié des récits sur l’Amérique latine : celui des telenovelas !
Pourtant, ces séries populaires, nées au Brésil dans les années 50, suscitent un engouement ininterrompu depuis leur création et à travers tout le continent ! Une véritable institution.
De quoi attiser notre curiosité…

Plus de 70 ans que l’Amérique latine vibre au rythme des telenovelas

Tous les pays d’Amérique latine ne produisent pas des telenovelas, mais ils en regardent tous. C’est un fil rouge sur tout le continent.
À l’origine, les telenovelas ont pris le relai des radionovelas – feuilletons radios qui étaient produits notamment au Brésil et à Cuba. C’est d’ailleurs le Brésil qui a été précurseur dans la transposition télévisuelle de ces séries. À cette époque, le Brésil est encore une dictature, et les telenovelas ont joué un rôle important pour souder les populations et unifier l’identité de ce pays, gigantesque comme un continent.

Puis le succès grandissant de ces programmes télévisés a permis leur implantation dans toute l’Amérique latine. Désormais, ils font partie intégrante du panorama culturel sud-américain. Les acteurs s’invitent chaque soir dans les foyers du Mexique aux confins de la Patagonie. Et il n’est pas rare de voir la télévision allumée sur la telenovela du moment dans les cafés où se retrouvent les gens.
Ce rassemblement est devenu une tradition, une grand-messe suivie par des millions de téléspectateurs qui frémissent devant les drames et les rebondissements – plus ou moins improbables – qui se jouent devant eux.
À titre d’exemple, le programme « Avenida Brasil » (2012) a fait un carton : 38 millions de téléspectateurs en moyenne, et 46 millions pour le final soit 84 % des téléspectateurs du pays !

Désormais, pour coller au plus près des attentes de leur public et optimiser leur succès télévisuel, la plupart des telenovelas constituent des groupes de discussions et testent l’évolution des intrigues sur un panel de téléspectateurs.
Véritable tribunal populaire, les ressentis de cet échantillon de société influent sur la vie et la mort de certains personnages.

 

 

Les telenovelas, miroir de la société sud-américaine

Dès la création des telenovelas, le phénomène prend très vite de l’ampleur. Le nombre de séries explose et la fréquence de diffusion impose de produire chaque épisode rapidement et avec des budgets très limités. En conséquence, la qualité n’est pas vraiment au rendez-vous : décors kitsch, dialogues fades, personnages caricaturaux, intrigues sans saveur, doublages calamiteux… Cette image de feuilleton populaire de mauvaise qualité leur colle à la peau et tarde à disparaître.
Pourtant, les telenovelas ont depuis bien évolué. Même si elles sont encore associées à la culture populaire, elles sont aujourd’hui regardées par toutes les classes de la société.
Le genre s’améliore et les intrigues à l’eau-de-rose des débuts laissent place à des scénarios plus élaborés.
Les telenovelas deviennent le lieu du débat social. Désormais, les productions s’emploient à aborder dans leurs intrigues des problématiques contemporaines telles que la maladie d’Alzheimer, l’alcoolisme, l’homosexualité, la grossesse chez les adolescentes, etc. et elles ont parfois une portée qui va au-delà des écrans de télévision. Les thèmes soulevés parlent aux gens à tel point que certains épisodes ont eu des incidences sur la société.
Par exemple, après la diffusion d’un épisode de « Laços de familia », dont l’un des protagonistes était atteint d’une leucémie, a permis d’augmenter les dons de moelle osseuse de plus de 1 000 % !

Les telenovelas, outils de la mémoire historique et de la culture littéraire

Une autre facette des telenovelas, c’est qu’elles rendent accessibles au plus grand nombre une partie de la culture et de l’identité sud-américaine.

Par exemple, deux ans après l’apparition de la télévision au Brésil, le roman « Senhora » de José de Alencar a été adapté. Depuis, plusieurs romans de la littérature sud-américaine ont été transposés à l’écran et leur succès ne s’est jamais démenti !
Ces adaptations représentent plus d’un tiers des telenovelas entre 1965 et 2010, et ont permis de faire connaître ces œuvres à un public qui n’avait pas forcément accès à ce patrimoine littéraire.

Au-delà de ces adaptations, d’autres telenovelas évoquent de grands moments d’histoire. Ainsi, elles ont été l’occasion de reconstitutions historiques ou retracent certains moments clés de la vie politique, parfois même en insérant des images d’archives. De ce fait, certaines telenovelas d’époque ont contribué à la conservation de la mémoire culturelle.
On peut citer par exemple : « Republica » (1989), « Abolição » (1988) de Wilson Aguiar Filho, « JK » (2006) de Maria Adelaide Amaral qui raconte l’histoire du président Juscelino Kubitschek – notamment à l’origine de la création de Brasilia -, ou encore les telenovelas « Anos Rebeldes » (1992) et « Queridos amigos » qui évoquent la dictature brésilienne.

 

Le succès continu des telenovelas depuis plus de 70 ans incite à s’intéresser à cette dimension culturelle qui fait partie du quotidien en Amérique latine.
On peut certes les voir comme un simple divertissement, qui rassemble les gens. Mais, les telenovelas offrent également un observatoire privilégié des rapports sociaux et du changement culturel du continent sud-américain.