Tourisme accessible en Amérique latine :
1ère partie
Voyage en situation de handicap : quand les obstacles se lèvent
De plages mythiques en sites archéologiques, l’Amérique latine qui fait rêver les voyageurs n’est pas forcément la plus hospitalière pour ceux d’entre eux qui sont en situation de handicap moteur, mental, visuel ou auditif. Plusieurs initiatives locales ou nationales ont cependant permis d’améliorer l’accessibilité des destinations latino-américaines, dont beaucoup poursuivent leurs efforts en la matière. Dans ce dossier en deux parties, il sera d’abord question des engagements pris et des progrès réalisés dans de nombreux pays, puis des possibilités qui s’offrent concrètement aux voyageurs à mobilité réduite en quête d’évasion.
Photo tirée de la page Facebook de l’association brésilienne MONTANHA PARA TODOS
Preuve que l’accessibilité est devenue un enjeu politique fort, de plus en plus d’États mettent en place des politiques publiques dédiées et scellent leurs engagements dans des textes officiels. Ainsi l’Argentine dispose-t-elle, depuis 2002, d’une « loi sur le tourisme accessible ». Celle-ci établit des obligations censées faciliter le tourisme pour les personnes handicapées, telles que la mise à disposition de rampes d’accès, de toilettes adaptées ou encore de panneaux en braille. L’Administration des parcs nationaux a par ailleurs approuvé en 2020 un « programme de tourisme accessible dans les aires protégées nationales » qui précise les objectifs à atteindre pour que les visiteurs en situation de handicap puissent profiter pleinement de ces zones protégées, parmi lesquelles on trouve les parcs nationaux Perito Moreno et Tierra del Fuego ou la Laguna de los Pozuelos.
Des engagements institutionnels, des initiatives individuelles
Peu accessible aux personnes à mobilité réduite, l’Équateur a fait d’importants progrès sous la vice-présidence de Lenín Moreno entre 2006-2013. L’homme d’État, paraplégique, a largement œuvré pour l’inclusivité. D’autres ont depuis pris son relais, au point que le pays compte aujourd’hui un « Conseil National pour l’Égalité des Personnes Handicapées ». Ce programme gouvernemental fournit une aide et des ressources aux Équatoriens présentant une incapacité visuelle, cognitive, auditive ou physique. Il s’est associé au Ministère du Tourisme et à la Fédération Nationale des Équatoriens handicapés physiques – à qui l’on doit un guide virtuel du tourisme accessible bien fait qui référence les sites praticables, les expériences possibles et les prestataires équipés – pour mettre en œuvre, à horizon 2030, une vaste politique publique de tourisme accessible. Résultat des grandes ambitions portées par ce petit pays : on peut maintenant y explorer l’Amazonie, les Andes ou encore les Galápagos malgré une mobilité ou des capacités réduites.
Des décisions concrètes sont également prises au Guatemala, telles que la signature d’une convention entre l’Institut Guatémaltèque du Tourisme (INGUAT) et le Comité Benemérito pour les Aveugles et les Sourds du Guatemala ou la formation de personnes malentendantes au métier de guide touristique. En Colombie, une loi normative promulguée en 2022 prévoit que les sites publics et services touristiques devront comporter un système d’écriture en braille. Avant cela, un « Manuel du Tourisme Accessible, Tourisme pour Tous » y avait été édité à l’attention des acteurs touristiques souhaitant adopter de bonnes pratiques. Cuba aussi s’engage pour un tourisme toujours plus accessible et encourage l’aménagement des infrastructures existantes pour les rendre accueillantes aux 15 % de la population mondiale soufrant d’un handicap. Même volonté affichée au Paraguay, où le sujet s’invite à l’agenda parlementaire. Comme d’autres, le pays a également son « Manuel du Tourisme Accessible », dont la dernière version a été actualisée par le secrétariat national au tourisme à l’été 2022.
La « Champabike » devant l’une des cabanes de Cultura Serrana, en Argentine
photo issue de la page Facebook du Red de Turismo Accesible en Argentina
Quand elles ne font pas l’objet de décisions gouvernementales, les initiatives en faveur d’un tourisme plus inclusif naissent sur le terrain, prenant parfois des formes inédites pour se conformer aux nouveaux usages. Un jeune consultant argentin, Carmelo Martinucci, a par exemple créé il y a quelques années l’application Accesapp. Disponible sur Android et iOS, elle recense les lieux adaptés aux différentes incapacités, y compris les troubles visuels ou les maladies cœliaques, à travers l’Argentine. On retrouve cet outil numérique évoqué dans un article du quotidien de Córdoba La Voz del Interior retraçant l’aventure dans la région, durant l’été 2022, d’une touriste espagnole qui se déplace en fauteuil. Cette mobilité réduite n’a pas empêché Naiara de faire de la tyrolienne à Villa General Belgrano, de visiter le parc national Quebrada del Condorito ou d’atteindre le sommet du Cerro Champaquí, point culminant de la province. Outre l’admiration qu’il inspire, le témoignage de cette trentenaire qu’une malformation congénitale prive de ses bras et de l’une des deux jambes est instructif à plusieurs titres.
Des fauteuils innovants qui ont révolutionné l’accessibilité
D’abord, il rappelle que le voyage en situation de handicap demande une bonne dose de motivation. Malgré les avancées infrastructurelles, comme à Santa Rosa de Calamuchita ou La Cumbre, deux municipalités de la province de Córdoba saluées pour leur politique volontariste, les démarches demeurent compliquées, certains lieux peu inclusifs et la débrouillardise indispensable. Mais il met aussi en lumière des acteurs qui, localement, rendent possible aujourd’hui ce qui était impensable hier. C’est le cas des créateurs des « cabanes inclusives » Cultura Serrana, où Naiara a pu séjourner et organiser ses activités dans la Vallée de Calamuchita. La chaîne locale Cadena 3 a récemment consacré un reportage à ce complexe de chalets 100 % accessibles.
Photo issue de la page Facebook d’Alejandro Piccione, concepteur du Champabike
C’est dans ce véritable laboratoire de l’accessibilité touristique qu’est d’abord né un fauteuil amphibie, développé pour la traversée de la rivière toute proche, puis le « Champabike », un vélo de trekking adapté qui permet de se déplacer, avec une assistance, sur des terrains montagneux accidentés. Depuis, Champabike s’est implanté dans une douzaine de parcs nationaux et a mis au point le fauteuil tout-terrain Yaguareté. Le concepteur de ces appareils révolutionnaires, Alejandro Piccione, plaide pour des investissements publics qui les mettraient à la portée du plus grand nombre. Il dirige d’ailleurs le « Réseau du Tourisme Accessible », dont l’objectif est de promouvoir le tourisme inclusif dans le pays.
Au Brésil aussi, l’aventure est rendue accessible par une invention locale pensée pour tous les terrains. Le « Julietti » est un fauteuil roulant spécial montagne, né dans l’esprit d’un ingénieur dont la femme, qui partage sa passion de l’alpinisme et de l’escalade, a vu sa mobilité entravée par un syndrome neurologique. D’abord testé en 2016 dans le parc national d’Itatiaia, le tout premier du pays, il est désormais disponible dans d’autres aires protégées, dont le parc national Chapada dos Guimarães. Grâce à l’action de l’ONG Instituto Montanha Para Todos, née dans la foulée du concept de Julietti, ce dernier est même prêté gratuitement en une quarantaine d’exemplaires à travers le pays, et ce aussi bien dans des sites naturels que dans des grandes villes.
Enfin, comment ne pas citer la pionnière qui a inspiré toutes ces innovations ? La Joëlette a été imaginée en France par Joël Claudel, accompagnateur en montagne, qui inventa le premier prototype dans les années 1980 pour son neveu myopathe. Si elle est aujourd’hui produite industriellement par Ferriol-Matrat, le principe de la Joëlette est resté le même : une chaise munie d’une seule roue centrale, d’un siège baquet et de quatre poignées prévues pour deux porteurs. L’implantation latino-américaine de ce fauteuil robuste, devenu une référence du sport-loisir adapté, doit beaucoup à une marketplace spécialisée dans le tourisme accessible, Wheel the World. Sur son site, la Joëlette est de (presque) toutes les propositions de voyages, de la Riviera Maya au salar d’Atacama en passant par le Machu Picchu, où un sentier a été inauguré spécialement pour les fauteuils.
Du Chili au Costa Rica, des pays pionniers et des acteurs engagés
Au Chili, un pays qui figure au rang des bons élèves en matière d’accessibilité, le Servicio Nacional de Turismo (SERNATUR) répertorie des « routes du tourisme inclusif » dans une carte interactive bien faite. On y retrouve le Parque Ecuador de Concepción, premier parc urbain inclusif du pays et modèle de paysagisme sensoriel, ou le projet social Bosqueventura, qui invite les non-voyants à évoluer dans les cimes d’une forêt, sur une île du fleuve Trancura à la faune et la flore généreuses. Le SERNATUR a aussi son propre annuaire des prestataires touristiques compétents dans la prise en charge des voyageurs handicapés. Parmi les nombreuses initiatives menées à travers le pays, il en est une de la Conaf (Corporación Nacional Forestal, l’ONF local) qui permet à une quarantaine d’aires sylvestres protégées, dont plusieurs parcs nationaux, de revendiquer leur « accessibilité universelle ».
L’enjeu est tel dans le pays qu’une loi stricte impose aux infrastructures touristiques et hôtelières de garantir une égalité d’accès. Des projets se multiplient à travers tout le territoire pour que chaque touriste puisse profiter de ses trésors naturels quelle que soit sa condition. Certains naissent de partenariats public-privé, à l’image du programme « Randonnée sans limites », tandis que d’autres sont portés par des entreprises qui ne doutent plus du potentiel que représente le milliard de terriens en situation de handicap, comme « Kayak sans frontières ».
Déjà salué pour son modèle de tourisme durable, le Costa Rica est aussi en pointe pour le tourisme inclusif. En 2021, le Lonely Planet lui attribuait la palme de l’accessibilité, n’hésitant pas à décrire la destination comme un « paradis pour les utilisateurs de fauteuil roulant ». Non seulement la loi nationale prohibe toute forme de discrimination à l’égard des personnes handicapées, contribuant à l’amélioration de leurs conditions d’accès dans les hôtels et les lieux publics, mais elles peuvent compter des associations engagées, comme la Red Costarricense de Turismo Accesible qui œuvre notamment à l’accessibilité des plages. Avec son projet Donatapa, l’organisation collecte des bouchons en plastique afin de les recycler sous la forme d’équipements adaptés : passerelles rétractables, chaises amphibies, etc. Et le littoral n’est pas le seul concerné par cette politique inclusive du Costa Rica puisque de nombreuses activités, telles que le trekking ou la découverte des volcans, peuvent aujourd’hui être pratiquées par les visiteurs dont la mobilité ou les capacités sont limitées.
Quand profiter de la plage et de l’eau ne relève plus du défi
Au Brésil, plusieurs plages présentent des facilités d’accès : Copacabana et Barra da Tijuca, à Rio, la ville de Macéio, réputée pour son inclusivité, Fortaleza, saluée pour son programme de « Plage accessible », ou encore Fernando de Noronha, archipel d’une vingtaine d’îles et d’îlots classé à l’UNESCO, pour ses plages du sud-est avec rampes d’accès, chaises amphibies et professionnels formés. Tout aussi évocatrice de sable fin et d’eaux chaudes, la station balnéaire de Playa del Carmen, au Mexique, est un bon exemple d’accessibilité si l’on en croit le Lonely Planet. C’est même la seule représentante latino-américaine de son classement des destinations les plus accessibles en fauteuil. Non seulement on y déniche des fauteuils roulants de plage, des hôtels accessibles et des équipements adaptés à la pratique du snorkeling, mais c’est un bon point de départ pour découvrir les sites archéologiques mayas de Chichén Itzá et Tulum, largement praticables en fauteuil.
La « Champabike » sur la plage en Argentine
(photo issue de la page Facebook du Red de Turismo Accesible en Argentina)
Tout comme ses aéroports, les zones les plus attractives de la République Dominicaine ont vu leur accessibilité notablement améliorée. Les prochains investissements, qui passent en partie par des partenariats public-privé, doivent rendre les principales destinations du pays totalement accessibles d’ici quelques années. En attendant, on trouve déjà des resorts bien adaptés à l’accueil des personnes à mobilité réduite à Punta Cana ou La Romana. Au Chili, l’offre balnéaire combine des possibilités de baignade, avec des plages inclusives dotées de fauteuils amphibies, comme Frutillar, dans la région de Los Lagos, et des aventures plus sportives, avec la pratique du kayak dans les fjords et canaux de la région de Magallanes ou la plongée adaptée sur l’île de Pâques aux côtés de moniteurs certifiés. Des expériences extraordinaires qui illustrent parfaitement la levée des barrières !
Ces dernières années, la plupart des pays latino-américains se sont dotés de textes et de programmes ambitieux, avec l’objectif d’accueillir de nouveaux voyageurs jusqu’alors limités dans leurs expériences et leurs itinéraires. La mobilité douce et la langue des signes font l’objet de produits touristiques à part entière, tandis que des prestataires se spécialisent dans la mise à disposition de véhicules aménagés et d’équipements dédiés. Et parce que le voyage commence souvent en avion, les transporteurs aériens qui desservent l’Amérique latine forment leurs équipes et adaptent leurs services pour répondre aux besoins particuliers des passagers à mobilité réduite. Ces derniers peuvent ainsi s’adresser aux compagnies Air Europa, American Airlines, Cabo Verde Airlines, Copa Airlines, Delta Airlines, Iberia, LATAM et TAP Air Portugal pour rejoindre leur destination, avant de profiter d’une offre toujours plus riche, qui sera à découvrir dans un second volet. Continuará…