L’Amérique latine est une mosaïque culturelle, façonnée par des siècles d’histoire complexe et de diversité ethnolinguistique. Parmi les éléments les plus précieux de cette richesse culturelle se trouvent les langues autochtones, témoignages vivants de l’héritage des peuples indigènes qui ont occupé ces terres bien avant l’arrivée des explorateurs européens. Cet article explore la variété, la profondeur et les défis de préservation auxquels sont confrontées les langues autochtones de l’Amérique latine.
La variété des langues autochtones
L’Amérique latine abrite une diversité impressionnante de langues autochtones, reflétant la pluralité des cultures autochtones présentes sur ce vaste territoire. On estime qu’il existe plus de 600 langues autochtones en Amérique latine, réparties entre de nombreux groupes ethnolinguistiques distincts. Parmi les langues les plus parlées figurent le quechua, le guarani, le nahuatl, le mapudungun, le aymara, et bien d’autres, chacune portant l’histoire et les traditions uniques de sa communauté respective.
Chaque langue est un joyau culturel, véhiculant des connaissances ancestrales, des rituels, des croyances et des pratiques qui ont résisté à l’épreuve du temps. Ces langues sont le reflet d’une compréhension profonde et spécifique du monde, imprégnée de la relation intime entre les communautés indigènes et leur environnement.
La richesse culturelle et linguistique
Les langues autochtones ne sont pas seulement des moyens de communication, mais aussi des porteurs essentiels de la richesse culturelle de chaque communauté. Chaque langue encapsule une vision unique du monde, transmettant des récits, des légendes et des savoirs traditionnels. Elles sont le tissu qui lie les générations, assurant la transmission de l’héritage culturel de manière vivante et incarnée.
Par exemple, le quechua, parlé par les descendants des Incas dans les Andes, n’est pas seulement une langue, mais un lien avec les pratiques agricoles millénaires, les célébrations rituelles de la nature et les anciennes sagesses médicales. De même, le guarani, parlé par les peuples autochtones du Paraguay, est intrinsèquement lié à leur compréhension profonde de la forêt amazonienne et à leur relation avec les esprits de la nature.
Les défis de préservation
Malgré la richesse culturelle qu’elles représentent, les langues autochtones de l’Amérique latine sont confrontées à des défis sévères de préservation. Les causes de disparition des langues sont multiples, notamment liées à leur pratique et leur enseignement.
La pression démographique, les politiques linguistiques discriminatoires et le manque d’accès à l’éducation bilingue sont autant de facteurs qui contribuent à la disparition progressive de ces langues. On constate par exemple que de nombreux jeunes issus de petites communautés autochtones perdent la maîtrise de leur langue maternelle car l’enseignement est dispensé dans une autre langue. De manière générale, les jeunes générations, souvent attirées par les opportunités économiques offertes par les langues dominantes, peuvent délaisser leurs langues autochtones au profit de langues plus répandues, accélérant ainsi le déclin de la diversité linguistique.
L’exemple de Cristina Calderon, décédée en février 2022 à l’âge de 93 ans au Chili, marque la disparition de la langue yagan en tant que langue vivante. En effet, elle était la dernière personne à maîtriser parfaitement cette langue et représentait un symbole de la résistance culturelle des peuples autochtones chiliens, dont la population a considérablement diminué depuis l’arrivée des Européens au XIXe siècle. Son décès met en lumière la menace pesant sur de nombreuses autres langues, avec environ 7 000 langues documentées dans le monde, dont plus de 1 500 sont en danger d’extinction.
L’importance de la préservation
L’Unesco avait désigné 2019 comme « Année internationale des langues autochtones », visant à sensibiliser à la disparition de ces langues et à la nécessité de les préserver, les revitaliser et les promouvoir.
La préservation des langues autochtones de l’Amérique latine va bien au-delà de la simple conservation d’un patrimoine linguistique. Elle est intrinsèquement liée à la protection des droits humains fondamentaux des peuples autochtones, à la promotion de la diversité culturelle et à la préservation de la biodiversité. Leur disparition progressive pose de nombreux défis dans des domaines variés tels que la politique, la santé, l’éducation, les traditions et l’environnement.
Les langues autochtones sont des vecteurs de connaissance écologique, transmettant des pratiques de conservation et des stratégies de coexistence durable avec l’environnement. Leur disparition pourrait donc entraîner une perte irréparable de savoirs traditionnels cruciaux pour la préservation des écosystèmes locaux.
Face à ces défis, de nombreuses initiatives de préservation des langues autochtones ont émergé ces dernières années. Des organisations gouvernementales, des groupes communautaires et des linguistes travaillent ensemble pour documenter, revitaliser et promouvoir ces langues. Des programmes d’éducation bilingue sont mis en place, visant à renforcer l’usage des langues autochtones dans les écoles et à préserver la transmission intergénérationnelle.
Les initiatives de préservation
Ces dernières années, les initiatives visant à préserver cet héritage linguistique se sont intensifiées à l’échelle mondiale.
En 2012, le Paraguay a inauguré l’académie de guarani, nommée « Ava Ñe’e Rerekuá Pave ». Composée de 15 membres, cette institution est chargée de normaliser tous les critères d’usage de la langue guarani.
De leurs côtés, le Guatemala s’est doté d’une Académie des langues mayas et le Mexique d’un Institut national des langues autochtones. Le Brésil, quant à lui, donne aux communes la possibilité d’officialiser une ou plusieurs langues amérindiennes sur leur territoire.
La Bolivie va même plus loin. Depuis 2009, la Constitution bolivienne instaure un « État de droit unitaire plurinational communautaire », c’est à dire qu’elle reconnaît officiellement, aux côtés du castillan, les trente-cinq « langues des nations et des peuples indigènes d’origine paysanne » parlées en Bolivie. Le pays a d’ailleurs initié de nombreuses mesures pour promouvoir une éducation interculturelle et bilingue. Diego Pary Rodriguez, ministre des Affaires étrangères, soulignait en 2019 : « On a ainsi la possibilité de faire l’enseignement dans la langue maternelle autochtone, mais aussi en espagnol. Et dans les universités indigènes, il y a des cours dans trois langues autochtones de la Bolivie : l’aymara, une langue bolivienne, le quechua, qui en est une autre, et le guarani, une langue qui vient de la partie orientale du pays. »
Les nouvelles technologies, notamment Internet, jouent également un rôle crucial dans la préservation des langues autochtones. Des applications, des enregistrements audio et vidéo, et des initiatives en ligne facilitent la documentation et la diffusion de ces langues, permettant ainsi de créer des ressources accessibles pour les communautés et les chercheurs intéressés. Cela contribue également à promouvoir ces langues auprès d’un public plus large. Cependant, des défis techniques subsistent, notamment le manque de support adéquat pour l’écriture en ligne de certaines de ces langues.
Au Guatemala, en Équateur et au Salvador, des militants ont multiplié les initiatives pour maintenir vivantes les langues amérindiennes en faisant preuve de créativité. Chaînes YouTube en nahuatl, création de pages Wikipédia en kaqchiquel, radio en ligne en quechua, cours de prononciation sur Facebook…
Pour sauvegarder le kaqchiquel, l’une des 22 langues mayas du Guatemala, Cecilia Tuyuc, militante des langues autochtones, s’est appliquée à créer de nombreux articles sur Wikipédia. Son objectif ? Rédiger 800 articles pour créer la Wikipédia Kaqchikel, dans le but de préserver et de promouvoir cette langue.
L’initiative « Lanceros Digitales » a été lancée en 2017 en Équateur. Elle diffuse, grâce à une radio en ligne en quechua, des informations et du contenu culturel de communautés amazoniennes afin de donner une place à l’actualité des peuples indigènes, invisible dans les médias traditionnels.
Les langues autochtones d’Amérique latine représentent une richesse culturelle et linguistique remarquable, cruciale pour préserver un patrimoine ancestral et pour garantir la continuité de savoirs anciens. La collaboration entre les communautés indigènes, les organismes gouvernementaux, les chercheurs et la société civile est essentielle pour assurer la survie de ces langues. Cependant, malgré les efforts déployés, la situation reste alarmante, avec plus de 90% des langues autochtones susceptibles de disparaître d’ici 2100, selon le Forum Permanent des Nations Unies pour les Questions Indigènes. C’est pourquoi, il est essentiel de promouvoir l’utilisation des langues autochtones dans tous les aspects de la vie quotidienne et de garantir leur transmission aux générations futures.
La disparition de ces langues menace la diversité culturelle et le savoir traditionnel, d’où l’importance de l’initiative des Nations Unies, le Decenio Internacional de las Lenguas Indígenas (2022-2032), qui vise à promouvoir l’éducation dans les langues maternelles et à utiliser les technologies numériques pour soutenir leur usage et leur préservation.