Quand l’Amérique latine inspire les architectes (Partie 2)

Le Corbusier et l’Amérique latine : une influence réciproque

L’histoire qui unit Le Corbusier (1887-1965) à l’Amérique latine est étonnante : le célèbre architecte a laissé son empreinte partout sur le continent, mais n’y a finalement réalisé qu’une seule œuvre. La villa du docteur Curutchet, édifiée à La Plata, en Argentine, entre 1949 et 1953, est en effet son seul bâtiment visible en Amérique latine. Dans cette maison qui devait être à la fois une résidence familiale et une petite clinique chirurgicale, on retrouve plusieurs caractéristiques de l’œuvre corbuséenne, parmi lesquelles la notion de « promenade architecturale », bien sûr, mais aussi les murs entièrement vitrés ou le brise-soleil. Largement restaurée en 1987 et classée au patrimoine mondial de l’UNESCO en 2016, avec 16 autres œuvres de Le Corbusier, la villa abrite aujourd’hui une association professionnelle d’architectes locaux.
Le Corbusier n’a pas attendu ce chantier argentin pour s’intéresser à l’Amérique latine. Il y entreprend un long voyage en 1929, pour une série de conférences à Buenos Aires, Montevideo, São Paulo et Rio de Janeiro. Autant de villes pour lesquelles il rédige également des plans directeurs, et dont la découverte a marqué un changement dans sa pensée et sa façon d’appréhender son travail. Le Corbusier compile d’ailleurs ses impressions dans un ouvrage intitulé Précisions sur un état présent de l’architecture et de l’urbanisme, qui présente également les textes de ses conférences sud-américaines et des illustrations présentées à cette occasion. Il revient sur le continent à plusieurs reprises, notamment en 1939 pour réfléchir avec Niemeyer et Costa à la construction du Ministère de l’Education Nationale et de la Santé à Rio.
En 1951, il donne des conférences à Bogotá, pour laquelle il propose un projet d’urbanisme (qui ne sera finalement pas réalisé), puis se rend au Brésil en 1962 pour étudier l’implantation de l’Ambassade de France à Brasília (là encore, sans concrétisation). En dépit de ces travaux avortés, l’empreinte de Le Corbusier sur le continent reste forte grâce à ceux qui devinrent ses disciples. Ainsi, outre Oscar Niemeyer (1907-2012) et Lucio Costa (1902-1998) qui se sont largement plongés dans son œuvre pour dessiner de nombreux bâtiments au Brésil, le mexicain Juan O’Gorman (1905-1982) s’est inspiré de son livre Vers une architecture pour faire construire la première maison fonctionnelle du Mexique au San Ángel.

Á Caracas et Bogotá, deux projets confiés à Richard Rogers

Connu en France pour avoir signé, avec Renzo Piano et Gianfranco Franchini, le Centre Pompidou à Paris, l’architecte Richard Rogers s’est récemment vu confier deux chantiers majeurs en Amérique latine. Son agence, dont il supervise encore les projets du haut de ses 84 ans, a notamment été choisie pour réaliser le futur grand stade national du Venezuela à Caracas. L’architecte italien naturalisé britannique, lauréat du prestigieux prix Pritzker en 2007, a été retenu par les autorités du pays et de la ville pour dessiner une enceinte de 55 000 places dans le cadre du projet de « Parque Hugo Chavez ». Ce parc urbain, qui doit intégrer une salle de spectacle, plusieurs hectares de jardins ou encore un hippodrome, s’inscrit dans le réaménagement global de la banlieue sud-ouest de Venezuela, et plus généralement de la modernisation de la capitale. Le stade imaginé par Rogers, en forme de « bol », sera cerné par des sortes d’esplanades flottantes offrant des vues spectaculaires sur la ville et les collines avoisinantes.
On mise également sur l’inspiration de Richard Rogers à Bogotá, où l’architecte collabore à la construction de deux tours hyper high-tech au cœur de la capitale colombienne. Les deux bâtiments, aux lignes évidemment très modernes devraient, d’après l’investisseur qui les finance, « changer la perception de l’architecture et de l’espace public en Colombie ». Un projet particulièrement ambitieux, donc, comme en témoignent les chiffres qui l’accompagnent : 42 étages pour la tour de 201 mètres de haut, 58 pour celle de 268 mètres, plus de 250 000 m² de bureaux, de services et de commerces, jusqu’à 72 000 personnes attendues chaque jour, mais aussi 10 000m² d’espaces publics arborés autour des deux gratte-ciels. Une fois achevés, ces constructions spectaculaires devraient modifier en profondeur le visage de Bogotá, où ils sont très attendus : près de 2 000 personnes ont assisté à la conférence de Richard Rogers lorsqu’il est venu présenter le projet en mars 2015 !

Le musée de la Biodiversité au Panama, bijou d’architecture

Déjà auteur de nombreuses œuvres monumentales à travers le monde – parmi lesquelles le Musée Guggenheim de Bilbao, l’immeuble dansant de Prague, le Wall Disney Concert Hall de Los Angeles ou encore la Cinémathèque française et la Fondation Vuitton à Paris -, l’architecte canadien Frank Gehry, l’un des plus en vogue de notre époque, a dessiné à Panama sa toute première construction d’Amérique latine : le musée de la Biodiversité, ou BioMuseo, érigé à l’embouchure du canal et inauguré en 2014 dans une ancienne zone militaire américaine. La structure métallique multicolore présente la biodiversité du continent sur 13 000m².

À travers ce musée, qui fait la fierté des Panaméens, Frank Gehry et les responsables du site ont souhaité mettre en avant l’importance de l’apparition de l’isthme du Panama, il y a 3 millions d’années, sur l’évolution des espèces végétales et animales sur toute la planète. L’édifice, pour le moins complexe avec ses formes inclinées, ses courbes tridimensionnelles et ses mailles d’acier, utilise la même technologie que le « nid d’oiseau » des JO de Pékin en 2008, ainsi qu’a été surnommé le stade national imaginé par
Herzog & de Meuron, ArupSport, China Architecture Design and Research Group et l’artiste Ai Weiwei.

En Uruguay, une école autosuffisante signée Mike Reynolds

En réalité, l’architecte américain Mike Reynolds, adepte de l’écoconstruction, n’a pas dessiné les plans de cette école pionnière, mais aidé ses instigateurs à concrétiser leur projet. Leur idée : bâtir une école qu’ils auraient rêvé de fréquenter lorsqu’ils étaient enfants. Le groupe d’amis prend d’abord contact avec Earthship Biotecture, l’entreprise de Mike Reynolds, puis commence à réaliser son rêve dans le village de Jaureguiberry (à 80 kilomètres de Montevideo), dont les 500 habitants réclamaient une école depuis 25 ans. L’idée est simple : utiliser le maximum de ressources locales, dont beaucoup sont destinées à la décharge.
Ainsi, des milliers de cannettes, bouteilles et cartons sont ramassés par la communauté locale pour être utilisés dans la construction du bâtiment, avec des pneus fournis par un garage locale, des panneaux solaires et des réservoirs destinés à recueillir l’eau de pluie. Avec les efforts de 80 volontaires venus d’une trentaine de pays, cette école modèle de 270m², 100% durable, voit le jour en un mois. Les menus de la cantine sont élaborés avec ce qui est cultivé dans le potager bio de l’établissement, dont les écoliers suivent, en plus du programme classique, des cours et des ateliers consacrés à l’environnement et au développement durable.
Si cette deuxième newsletter consacrée à l’architecture en Amérique latine rappelle à quel point le continent inspire les artistes les plus renommés, elle témoigne également des engagements pris par les pays latino-américains en matière de développement durable : plus que jamais, l’architecture se met au service de l’écologie. Preuve, s’il en fallait, que ce continent sait préserver ses trésors historiques tout en jouant la carte de la modernité, à travers des bâtiments high-tech qui respectent l’environnement quand ils n’y sont pas carrément dédiés. Voilà qui devrait combler des voyageurs toujours plus sensibles à ces questions !