Quand l’Amérique latine inspire les architectes

L’empreinte d’Oscar Niemeyer sur l’urbanisme des grandes villes brésiliennes

Élément majeur du pays, au même titre ou presque que le carnaval ou le football, l’architecture occupe une place si importante au Brésil que certains tour-opérateurs en ont fait une thématique de séjour à part entière. Et quand on évoque le « premier art » dans le plus grand pays d’Amérique latine, difficile de ne pas penser immédiatement à Oscar Niemeyer. L’apôtre du béton et de la courbe, né en 1907 à Rio de Janeiro, a en effet largement contribué à façonner les paysages urbains de son pays. L’actuelle capitale, Brasília, créée en 1960 pour mieux répartir l’activité économique sur le territoire national, est même tout droit sortie de son imagination et de celle de l’urbaniste Lucio Costa.
Niemeyer en a dessiné les principaux bâtiments, à commencer par l’emblématique cathédrale de 4000 places, une incroyable structure hyperboloïde de 70 mètres de diamètre obtenue par l’assemblage de 16 colonnes de 90 tonnes chacune. L’architecte carioca a également imaginé le Congrès national, le ministère des Affaires étrangères, le Tribunal suprême et le Palais de la présidence (Palácio da Alvorada), dont la structure mêlant bêton, métal et verre est caractéristique de l’œuvre de Niemeyer. Ce dernier a dessiné de nombreux autres monuments à travers le pays, comme le parc Ibirapuera, l’immeuble Copan ou le mémorial de l’Amérique latine à São Paulo, mais aussi le Musée d’art contemporain de Niterói et le sambodrome à Rio, ou encore le complexe Pampulha à Belo Horizonte, son premier grand chantier (achevé en 1943).

Le Chili, un formidable terrain de jeu et d’expérimentation pour les architectes

Le Pritzker Prize d’architecture 2016 a été remis en avril dernier au Chilien Alejandro Aravena déjà nommé, quelques mois plus tôt, à la direction de la 15e Biennale internationale d’architecture de Venise. Une année mémorable pour celui qui a dessiné plusieurs bâtiments emblématiques du Chili. On peut notamment admirer ses réalisations à Santiago, dont il a signé les écoles de mathématiques et de médecine de l’université catholique, ainsi que le jardin du Bicentenaire et plusieurs bâtiments du campus San Joaquin, dont les «Tours siamoises», mais également dans la ville huasa de Rancagua, dont il a imaginé l’école Ayelén.
À 170 kilomètres au sud de Rancagua, en pleine zone rurale, se trouve l’étonnante école de Talca. C’est la seule école d’architecture du pays à ne délivrer de diplôme à ses élèves qu’après la réalisation du projet qu’ils présentent. Ils ont une seule année pour mettre au point leurs constructions, qui prennent tour à tour la forme d’une cantine, d’abris, de belvédères, d’installations permanentes ou éphémères bâties à partir des restes des processus agricoles ou forestiers : filets, planches, containers, palettes, chutes de bois. Les 500 élèves diplômés depuis l’ouverture de l’école en 1999, très inspirés, sont nombreux à retrouver ensuite leur communauté d’origine pour œuvrer au développement de leurs villages natals.
Autre témoignage du dynamisme chilien en matière de création architecturale, direction le littoral et la ville de Ritoque. Ce site d’expérimentation et d’enseignement situé à 16 kilomètres de Valparaiso, face au Pacifique Sud, a été fondé dans les années 1970 par des architectes accompagnés d’artistes et d’intellectuels désireux d’en faire une ciudad abierta, « ville ouverte » en français. Ritoque est depuis devenue depuis un laboratoire créatif et un formidable terrain d’expérimentation. Un projet teinté d’utopie, dont les structures cherchant à rapprocher l’homme de la nature répondent finalement à des enjeux plus actuels que jamais.

De Ciriani au duo Llosa Cortegana : la modernité de l’architecture péruvienne

L’architecte Henri Ciriani a particulièrement marqué son pays natal, le Pérou, où il a vu le jour en 1936. Non seulement à travers les logements sociaux qu’il a imaginés au cours des années 1960, dans différentes villes péruviennes, mais surtout depuis la construction de la villa Santillana en 1999. Ici, sur les côtes au sud de Lima, l’architecte néo-moderne a fait bâtir une maison de plage dont les lignes blanches ont inspiré depuis de nombreux disciples et constitué un apport majeur dans la création architecturale au Pérou, où Ciriani est revenu en 2013 pour deux constructions remarquables : la villa Madonna sur la plage de Playa Hermosa, et l’extension-rénovation d’une villa à San Isidro, qu’un séjour à Lima donne l’occasion d’admirer.
Un autre édifice vaut le détour pour quiconque visite la capitale péruvienne : la nouvelle bibliothèque de sciences, d’ingénierie et d’architecture de l’université catholique de Lima, livrée en 2014 et conçue par le duo Patricia Llosa et Rodolfo Cortegana. Les deux créateurs, qui militent pour plus de qualité architecturale au Pérou, mettent à travers ce bâtiment remarquable le béton brut à l’honneur. Leur talent s’illustre dans d’autres réalisations à travers le Pérou. C’est notamment le cas du musée sanctuaire archéologique de Pachacamac, dans la vallée de Lurín au sud de Lima. Cette nouvelle enceinte aux courbes épurées, résolument contemporaine, abrite une collection de 277 objets en bois, textiles et céramiques découverts dans le sanctuaire attenant de Pachacamac.

Monterrey, Merida, Mexico : l’architecture, une discipline en vogue au Mexique

La reconversion de Horno 3, troisième haut-fourneau de l’ancien ensemble sidérurgique de Monterrey fermé en 1986, en un musée des sciences et de l’industrie, est une véritable réussite. Opérée par l’architecte mexicain Carlos Estrada, en collaboration avec l’agence britannique Grimshaw, cette transformation respecte la structure initiale tout en la mettant en valeur avec une grande originalité. Le vaste complexe, livré en 2007, abrite un spectaculaire enchevêtrement de poutres et de tuyauteries. À l’image du Museo Maya construit en 2012 (plans : 4A Arquitectos), et dont la forme de cylindre en fer cerné de prismes en béton rappelle l’arbre sacré des Mayas, la Ceiba. La ville de Mérida, dans le Yucatán, abrite elle aussi de nombreux chantiers aux inspirations variés.
La capitale Mexico témoigne elle aussi de ce dynamisme architectural. L’Américain Richard Meier, prix Pritzker 1984, est ainsi à l’origine de deux des gratte-ciels érigés le long de l’avenue la plus célèbre de Mexico, le Paseo de la Reforma. Ses tours jumelles en alu, cristal et béton blanc, sortiront bientôt de terre aux côtés de la plus haute tour de la ville, la Torre Reforma. Fine et dotée de meurtrières géantes pour laisser entrer le soleil, cette tour à haute qualité environnementale se compose de 14 groupes de 4 étages, qui sont autant de bâtiments dans le bâtiment et disposent chacun d’un jardin intérieur.
Les architectes mexicains prennent eux aussi part à la transformation de la skyline de la ville. Ainsi Michel Rojkind, après avoir imaginé le design du restaurant japonais Tori Tori, avec son étonnante façade ajourée et son chaleureux intérieur en bois, a signé les plans de la cinémathèque nationale. Un édifice à la nef spectaculaire, aux allures de grand vaisseau renversé à la coque – elle aussi – ajourée.

Si ses héritages coloniaux en matière d’architecture attirent toujours autant les touristes, friands de ces inspirations délicieusement désuètes, l’Amérique latine assume aujourd’hui pleinement son aspiration à développer des paysages urbains très contemporains. Loin de se confronter, ces deux aspects du continent, à la fois riche de son histoire et bien ancré dans son époque, contribuent à entretenir sa formidable dynamique. Pouvoir, dans un même pays, visiter en l’espace de quelques heures une ravissante cité aux bâtiments coloniaux, un édifice typique du Modernisme du 20e siècle et une construction quasi-futuriste caractéristique de ce début du 21e siècle, à l’empreinte écologique limitée, est un véritable privilège pour les voyageurs.
Restez connectés : nous évoquerons d’autres projets architecturaux emblématiques de l’Amérique latine dans une deuxième newsletter consacrée à cette thématique.