L’Amérique latine au-delà du foot : sports populaires et disciplines ancestrales (suite et fin)

Partie II : les sports d’hier dans l’Amérique latine d’aujourd’hui

Après une première partie consacrée aux sports populaires en Amérique latine, ce second volet vient rappeler que la pratique sportive n’est pas l’apanage de nos sociétés contemporaines. On retrouve en effet des vestiges de terrains de pelota sur des sites mayas majeurs tandis que les Indiens Tarahumaras excellent en endurance depuis l’époque préhispanique. Mais loin de se cantonner au rang de trésor historique, ces pratiques séculaires ont traversé le temps, perpétuées ou réhabilitées par d’infatigables passionnés. Voici quelques-uns de ces sports d’hier encore pratiqués aujourd’hui, avec passion et respect des traditions.

 

Des joueurs de pok-ta-pok en tenue traditionnelle (via Wikimedia Commons)

Pok-ta-pok, ulama, balle maya… Différents noms pour un même jeu de balle préhispanique

Fin 2021, le 4e championnat du monde de balle maya se tenait au Mexique, suscitant l’intérêt de la presse francophone pour ce jeu mésoaméricain millénaire tout particulièrement célébré dans la péninsule du Yucatan. À l’image du journal canadien La Presse ou du quotidien français Ouest-France, certains médias ont ainsi profité de l’événement pour rappeler les origines et le principe de ce lointain ancêtre du basketball, qui fut à ses prémices un rituel aussi sacré que sanglant.

Ce sport collectif que les Mayas appelaient pok-ta-pok, en référence au bruit de la balle de caoutchouc qui rebondit, a toujours consisté à faire passer une lourde balle dans un arceau en pierre placé en hauteur, essentiellement en utilisant les hanches ou les jambes. Mais lorsqu’elle apparait durant le IIe millénaire av. J.-C., la discipline s’accompagne parfois d’offrandes et de rites allant jusqu’au sacrifice du vainqueur, décapité en l’honneur des dieux. Pratiquée par les Mayas et les Aztèques à différentes périodes avant de disparaitre il y a un peu plus de 500 ans, interdite par les Espagnols, la balle maya est de retour au Mexique où des joueurs de tout âge désireux de renouer avec leurs racines font revivre la tradition.

Ce jeu de balle est à ce point ancien qu’on retrouve les traces de terrains ayant servi à sa pratique à Chichén Itzá, dans la cité antique d’Uxmal ou encore sur le site archéologique de Monte Albán. Mis à l’honneur dans le cadre d’une démonstration lors de la Coupe du Monde en Allemagne en 2006, le pok-ta-pok a depuis largement reconquis ses terres natales où on le fait revivre jusqu’au cœur de Mexico, on le décline en jeu vidéo et on en fait des shows spectaculaires dans certains parcs de la Riviera Maya. C’est pourtant Belize qui l’a emporté face au Mexique lors du championnat du monde 2021, auquel ont aussi pris part le Panama et le Guatemala.

 

L’immense terrain de balle maya mis à jour sur le site de Chichén Itzá (© Brian Snelson via Wikimedia Commons)

Vue depuis un terrain de pok-ta-pok au Mexique (© Sebastien Paquet via Wikimedia Commons)

 

Quand le tejo, sport national colombien, promet aux voyageurs une expérience explosive

L’histoire du tejo débute chez les Muiscas, peuple précolombien des hautes terres de la Colombie dont la civilisation s’est développée entre 1000 et 1550 après J.-C. Cette communauté qui vit alors autour de l’actuelle Bogota joue au turmequé, qui consiste à lancer un lourd palet en or appelé zepguagoscua. Le sport a vu sa pratique évoluer au fil des siècles et des usages jusqu’à devenir le tejo aujourd’hui joué en Colombie, mais aussi dans certains pays voisins. Désormais, on lance un palet de métal de 700 grammes, lequel doit arriver 12 mètres plus loin dans une cible d’argile d’un mètre carré, la cancha. Au centre de celle-ci se trouve le bocin, un anneau en métal dont les bords sont chargés de pétards, les mechas.

 

À Turmequé, en Colombie, un monument à la gloire du sport du même nom (©JuanGris – Lucía Estévez via Wikimedia Commons)

La bière a remplacé la boisson à base de maïs fermenté bue par les premiers joueurs de tejo, au point que ce sont souvent de grandes brasseries qui sponsorisent les tournois organisés à travers tout le pays. Mais si les adeptes revendiquent de nos jours une pratique festive et conviviale, le système de notation appliqué à toutes les parties, qui se jouent en 27 points, n’en reste pas moins précis. Le tejo le plus proche du bocin remporte 1 point, tandis que le joueur qui parvient à faire exploser une mecha en engrange 3. L’envoi du tejo au centre du bocin rapporte 6 points, ou 9 points lorsqu’il est combiné à une explosion.

On compte près de 400 clubs à travers le pays, ainsi que des écoles spécialement réservées aux enfants. Populaire, simple et accessible, le tejo se prête aussi aux expériences touristiques. On peut par exemple s’y initier dans des adresses dédiées du quartier de San Felipe, à Bogotá, ou en marge d’une excursion à la cathédrale de sel de Zipaquirá, à une heure de route de là. Les possibilités manquent d’autant moins que plusieurs agences de voyage et organismes spécialisés proposent aux voyageurs de passage des activités autour du tejo. À l’image de la journaliste Tania Young découvrant ce sport typiquement colombien dans l’émission « Faut pas rêver », les Français qui se laissent tenter lui trouvent généralement des points communs avec leur pétanque nationale, tout aussi respectable mais objectivement moins sensationnelle !

 

Capuchin aleman et pétéca : quand le sport d’antan devient un jeu d’enfants

Traditionnel plus que véritablement ancestral, le Capuchin aleman, ou Cachipún Alemán, est un jeu enfantin très connu au Chili bien que pratiqué ailleurs dans le monde sous d’autres formes et d’autres noms. Prétexte à l’éducation physique, le Capuchin aleman se présente comme une sorte de relais par équipes sur un parcours balisé, ponctué de face-à-face départagés par un duel de « pierre-feuille-ciseaux ». Le gagnant poursuit sa course alors que le perdant reprend place derrière ses coéquipiers. Pour les enfants, qui se tiennent en file indienne et partent chacun leur tour, l’objectif est donc de remporter le piedra, papel y tijera pour arriver jusqu’au point de départ de l’équipe adverse afin d’obtenir un point. Le déroulement de la partie comme les règles qui la régissent s’adaptent notamment au nombre de joueurs et à leur âge.

La simplicité du Capuchin aleman lui vaut d’être déclinable universellement. Ce jeu infantile a d’ailleurs fait son apparition il y a quelques années dans le milieu du sport scolaire en France, où il est présenté comme un « jeu traditionnel du monde » visant, entre autres, à offrir aux plus jeunes une expérience non seulement ludique et physique mais avant tout interculturelle.

 

Une rencontre de pétéca lors d’un tournoi en Allemagne (@ Frank Stolle via Wikimedia Commons)

La pétéca, sport traditionnel brésilien, a aussi sa place à l’école parmi les « Activités Physiques et Sportives en milieu scolaire ». Mix entre badminton et volley, la pétéca a l’avantage de nécessiter un équipement minime – le filet ne s’impose qu’en compétition – et de pouvoir se jouer sur différents types de surface, en simple ou en double. La discipline porte le nom du volant utilisé pour sa pratique, formé de quatre grandes plumes plantées sur une base en caoutchouc. Les Amérindiens autochtones de la tribu Tupi, à qui l’on doit ce jeu, fabriquaient les leurs avec des feuilles de caoutchouc remplies de paille de riz pilée et de sciure de bois.

 

Une partie de pétéca dans le Minais Gerais, au Brésil (page Facebook PEC Brasil – Circuito Brasileiro de Peteca)

Hier comme aujourd’hui, on frappe en tout cas la pétéca avec la paume de la main pour la projeter vers l’adversaire, qui doit alors parvenir à la renvoyer. Essentiellement brésilienne, la discipline a connu un coup de projecteur en 1920 à l’occasion des Jeux Olympiques, lorsque la délégation nationale de natation a intégré ce jeu ancestral à son rituel d’échauffement sous le regard curieux et séduit d’autres athlètes. Il faut pourtant attendre 1973 pour que le berceau de la pétéca n’édicte des règles encadrant sa pratique et 1987 pour qu’un premier championnat s’y déroule officiellement. On estime aujourd’hui à un million le nombre de licenciés dans le pays, qui compte plus de 15 000 clubs. En France, une fédération a vu le jour en 1997 sous l’impulsion d’un ancien international de rugby, Jean-François « Jeff » Impinna. Elle revendique environ 30 000 pratiquants.

 

Du Río Grande aux montagnes andines, d’anciens sports synonymes de records

Les sports ancestraux battent par définition des records en matière de longévité… Mais pas seulement ! La preuve avec le « tennis des géants », sport de l’époque inca que l’on pratique encore dans certaines régions andines du centre-nord de l’Équateur ou du sud de la Colombie, où sa variante locale est appelée chaza.  Comme le relate un article du Point paru il y a quelques années, tout est démesuré dans cette espèce de pelote à cinq contre cinq dont on reconnait le plus souvent les adeptes au surdéveloppement des muscles de leur avant-bras. Et pour cause : la raquette en bois dotée de cônes en caoutchouc employée pour taper dans la pelote d’environ un kilo en pèse elle-même cinq. Or il faut l’avoir bien en mains pour évoluer sur le court en terre de 100 mètres de long sur près de 10 de large, où une ligne tracée sommairement au sol remplace le filet.

Dans les faits, les Équatoriens sont aujourd’hui moins de 2 000 à jouer au tennis des géants sur des terrains souvent vagues, perpétuant avec ce sport « autochtone, traditionnel et ancestral » les us des populations indiennes qui le firent naître dans la région où se trouve l’actuelle frontière avec la Colombie. Pour ces amateurs passionnés, l’enjeu est donc double : s’adonner à une activité récréative rude mais plaisante tout en tentant d’empêcher qu’elle ne disparaisse.

 

Photo d’illustration de l’article du Point consacré au « tennis des géants », paru le 29/07/2017 (@AFP / Archives / Juan Cevallos)

Autre sport, autres records au nord du Mexique, où les Indiens Tarahumaras affichent d’incroyables performances dans la course à pied. Leur discipline de prédilection ? Courir parfois plusieurs jours de suite, sous le soleil et à travers de vertigineux canyons, à la poursuite d’un ballon en bois. Le secret des 100 000 personnes qui composent cette ethnie repose en réalité, et depuis toujours, sur les impressionnants trajets qu’elles couvrent à pied quotidiennement pour rallier entre eux les hameaux isolés, surveiller le bétail, se procurer du bois, aller chercher de l’eau ou, pour les plus jeunes, se rendre à l’école.

Loin de leur terrain d’entraînement, ces coureurs d’exception échouent cependant dans les grandes épreuves internationales, peu taillées pour eux. Mais plusieurs Tarahumaras figurent au palmarès d’un méga-marathon de 160 kilomètres organisé annuellement près de Los Angeles. L’un d’eux, Juan Herrera, l’a bouclé en un peu plus de 17 heures lors de l’édition 1994, inscrivant alors son nom au Guinness des records. Plus tard, en 2009, leur endurance légendaire a été mise à l’honneur par l’écrivain Christopher McDougall dans son livre « Né pour courir ». Dans l’ouvrage que se doit de lire tout runner, il écrit : « sur des très grandes distances, personne ne peut battre un Tarahumara, pas même un cheval ni un guépard ou un marathonien de niveau olympique ».

 

Ces disciplines sportives plus récentes mais déjà entrées dans l’Histoire

Il est un autre record qui concerne cette fois le jaï-alaï, un sport certes né au Pays basque mais très populaire à travers le Mexique depuis qu’il y a été introduit en 1895. Aussi appelé cesta punta, ce sport de balle peut se targuer d’être le plus rapide au monde avec des pointes enregistrées à plus de 300 km/h. Cette spécialité de la pelote basque possède ses frontons dédiés, notamment à Mexico, et des pratiquants jusqu’en Argentine.

 

(@ Frontón México)

Évoquons pour finir un sport qui n’est pas à proprement parler ancestral mais qui s’est d’ores et déjà imposé dans la culture bolivienne : les « cholitas luchadoras », ou lutte des cholitas, ainsi que sont appelées les femmes – souvent d’origine modeste – de l’Altiplano. Reconnaissables à leur style vestimentaire caractéristique de la tradition aymara (jupes à volants aux teintes vives, bijoux colorés, chapeaux melons), elles ont trouvé dans cette lutte inspirée du catch américain un moyen d’émancipation autant qu’un mode d’expression.

Depuis les années 2000 à La Paz, nombreuses sont celles qui prennent part ou viennent assister à ces combats féminins, bien décidées à exister et à se montrer dans une société où leur statut de femmes autochtones leur vaut d’être doublement discriminées. Outre la tribune que leur a offert cette exposition nouvelle, les cholitas ont opéré une révolution féministe majeure, sans violence mais avec vigueur et honneur, sous les vivats et les cris de joie de spectateurs ravis du spectacle. Nul ne doute que d’ici quelques décennies, elles auront aussi contribué à prouver que tout sport ancestral a d’abord été un jour un sport naissant…

 

Des cholitas sur le ring