Qu’ils relèvent du folklore ou d’usages bien ancrés, les chapeaux et les bonnets coiffent la tête de nombreux Latino-Américains. D’abord destinés à protéger celles et ceux qui les portent du froid, du soleil ou de la pluie, certains de ces couvre-chefs revêtent désormais une dimension quasi anthropologique, arborés comme des signes d’appartenance communautaire ou des vecteurs de revendication culturelle. Des chapeaux traditionnels péruviens aux coiffes amérindiennes en passant par les mythiques panamas ou sombreros, zoom sur la chapellerie d’Amérique latine.
Au Pérou, à chaque région son chapeau !
Il y a quelques années, le quotidien El Comercio consacrait un article à la signification des chapeaux péruviens selon leur forme, leur couleur, leur style et, en premier lieu, leur région d’origine. On peut y lire que le chapeau ne se limite pas à sa vocation utilitaire et qu’il représente, pour beaucoup de peuples du Pérou, « une synthèse identitaire et symbolique ». Ainsi, l’aspect et la confection des différents chapeaux arborés dans le pays sont d’une incroyable diversité.
Parmi les modèles les plus emblématiques, on retrouve le chapeau typique de Huamachuco, dans le département de La Libertad, dont le bord a la particularité d’être orné d’un petit miroir. Il est porté par les femmes et les hommes de la région lorsqu’ils exécutent la danse locale appelée « contradanza ». Dans les zones rurales autour de Tacna, dans le sud du pays, les chapeaux portés dans la vie quotidienne sont fabriqués à partir de tissu. Généralement de couleur noire ou marron, ils sont ceints d’un large ruban de la même teinte.
Dans la jungle, on troque le chapeau pour la coiffe ou la couronne de plumes, comme celles de la communauté Awajún, portées à l’occasion de cérémonies, de visites à d’autres communautés ou lors de rencontres avec les autorités régionales ou nationales. L’ethnie Matsigenka, qui vit sur les rives des fleuves Urubamba, Yavero, Timpia et Manu, utilise pour sa part trois types de coiffes, dont l’une, « natinerenka », nécessite des plumes de différentes tailles et couleurs, qui proviennent d’oiseaux de la région comme l’ara, le toucan ou l’hocco.
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Les chapeaux portés dans les régions montagneuses affichent eux aussi leurs spécificités, à l’image de ceux en cuir foncé que l’on retrouve sur les femmes et les hommes participant aux rodéos de bétail organisés en marge des fêtes nationales à Oxapampa, dans la région de Pasco. Dans le département d’Arequipa, et plus particulièrement dans la vallée de Colca, les femmes du petit village quechua de Canabaconde portent de magnifiques chapeaux brodés de fils colorés. Avec leurs motifs inspirés des oiseaux, des poissons et des fleurs, ils symbolisent l’intégration des populations locales à leur habitat naturel.
Le chapeau Tongo, que les femmes Aymara des hauts plateaux péruviens et boliviens portent depuis plus d’un siècle, serait quant à lui d’origine… anglaise ! Quelques exemplaires auraient en effet été exportés à l’attention d’ouvriers britanniques mobilisés sur la construction d’un chemin de fer dans la région à la fin du 19e siècle. Trop petits pour eux, ils auraient alors été vendus aux femmes de la Cordillère, qui en ont adopté et développé l’usage. Notez enfin que la variété des chapeaux péruviens fut mise à l’honneur lors de l’exposition universelle 2020 à Dubaï. Le Pavillon du Pérou présentait pour l’occasion une collection de 38 modèles originaires de 22 des 25 régions que compte le pays. Une fierté relayée par le site du gouvernement lui-même…
Les chapeaux portés par les Cholitas, un symbole de la Bolivie
Le chapeau Tongo évoqué quelques lignes plus haut, également très répandu en Bolivie où on l’appelle « bombín », n’est autre qu’un chapeau melon. Comme raconté précédemment, on doit l’essor latino-américain de ces chapeaux de feutre noir créés à Londres en 1849 à deux frères qui les destinaient à leurs compatriotes occupés à bâtir des voies ferrées dans l’Altiplano. Soucieux d’écouler un stock finalement inadapté au tour de tête des cheminots concernés, ces hommes d’affaires ont usé d’une technique commerciale imparable : la publicité.
Mais le récit exact reste nimbé d’incertitudes car, contrairement au journal péruvien El Comercio, la chaîne de télévision bolivienne Univision raconte que ces chapeaux melons venus d’Angleterre ne se diffusèrent pas auprès des femmes indigènes mais auprès des épouses des classes aisées de la Paz, majoritairement originaires d’Espagne. Lesquelles se seraient vu raconter que ce modèle de chapeau était alors à la mode en Europe…
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Difficile de trancher entre les deux versions, ni même de savoir si la légende selon laquelle celles qui portaient le « bombín » ne rencontraient pas de problèmes de fertilité a vraiment existé. Toujours est-il que les Cholitas, femmes indigènes et pauvres venues des campagnes boliviennes, ont fait du chapeau melon leur accessoire de prédilection. L’article d’Univision évoque ainsi un « syncrétisme des cultures et des traditions », qui s’incarne dans la combinaison des codes andins (châles, jupes, couleurs chatoyantes) et de cet attribut venu d’Europe.
Le melon est aujourd’hui indissociable de la tenue vestimentaire typique des Cholitas, qui ont choisi d’en faire un signe identitaire distinctif, le personnalisant le plus souvent à l’aide de rubans colorés. La coutume veut en outre que la manière dont le chapeau melon est positionné sur leur tête ait également une signification. La femme qui le porte au milieu est mariée ; celle qui le met de côté est veuve ou célibataire ; celle qui le porte à l’envers revendique des relations conjugales compliquées…
Le bonnet de laine andin, un accessoire aux origines incertaines
On l’associe parfois aux Péruviens, de la même manière que l’on caricature les Français affublés d’un béret… Pourtant, si tous les habitants du Pérou ne déambulent pas avec un bonnet de laine sur la tête, ce couvre-chef constitue un accessoire indispensable pour de nombreux habitants des Andes péruviennes et boliviennes. On le retrouve aussi dans certaines régions montagneuses du Chili, d’Argentine et d’Équateur, où sa capacité à protéger du froid est particulièrement appréciée. Mais aussi dans les valises de nombreux voyageurs, qui y voient un souvenir pittoresque et bon marché à rapporter de leurs pérégrinations latino-américaines…
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Appelé « bonnet péruvien » dans nos contrées, il porte à l’origine le nom de « chullo », ou « ch’ullu », qui vient de la langue aymara dérivée du quechua. Si son nom et l’orthographe de celui-ci peuvent varier, c’est moins le cas de sa matière et de sa forme, assez immuables. Le chullo est généralement confectionné artisanalement en laine d’alpaga ou de vigogne, couvert de motifs ethniques colorés et prolongé de part et d’autre par des cache-oreilles. Pour autant, ses racines restent discutées par les anthropologues et les historiens, qui peinent à retracer avec précision son ascendance. Alors, d’où vient vraiment l’incontournable chullo ?
A-t-il été amené par les conquistadors espagnols ? Est-il le fruit de la civilisation Huari, dont l’empire s’est développé entre 450 et 1000 apr. J.-C. dans les régions montagneuses de l’ancien Pérou et dont le style artistique aurait inspiré les Incas quelques siècles plus tard ? L’ethnologue péruvien Arturo Jiménez Borja (1908-2000) émet l’hypothèse somme toute assez crédible d’un mélange culturel entre les deux, mixant une sorte de béret traditionnel espagnol et un design indigène. On peut en tout cas parler, de nos jours, d’un objet pleinement andin, auquel chaque artisan apporte sa propre touche selon son inspiration et sa région d’origine.
Le panama, ou l’histoire d’un chapeau qui portait mal son nom…
le chapeau appelé « panama », porté avec chic et décontraction par le public VIP du tournoi parisien de Roland Garros, est bien latino-américain, mais pas vraiment panaméen. Ses origines sont en effet équatoriennes, comme son nom ne l’indique pas. Celui-ci date du creusement du canal maritime reliant océan Atlantique et océan Pacifique, entre la fin du 19e et le début du 20e siècle. Eloy Alfaro, qui dirigeait alors l’Équateur, avait en effet promu ce chapeau auprès des milliers d’ouvriers du chantier qui travaillaient sous un soleil assommant. Mais c’est Theodore Roosevelt, qui l’arborait lors d’une visite du site en 1906, qui contribua à lancer la mode du panama.
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Le célèbre chapeau au ruban noir ou marron fut plus tard popularisé par Hollywood, que ce soit par Humphrey Bogart dans Casablanca, Paul Newman dans Les Feux de l’été, ou encore Robert Redford dans Gatsby le Magnifique. Le panama a pourtant vu le jour bien avant ces illustres acteurs : les villages équatoriens de Montecristi et Jipijapa, dans la province de Manabí, se sont lancés dans sa fabrication au 16e siècle mais le fameux chapeau de paille tressé serait né des milliers d’années plus tôt, comme en témoignent des découvertes archéologiques attestant de sa présence dans la culture Valdivia, 4 000 ans avant J.C.
L’atemporalité et la réputation du panama tiennent en partie de sa qualité de conception. Il est aujourd’hui encore fabriqué à partir d’une fibre issue du palmier carludovica palmata, appelée « paja toquilla ». Les jeunes feuilles de la plante, qui pousse sur le littoral équatorien, donnent des filaments d’une grande finesse, ébouillantés avant d’être séchés au soleil puis tissés selon des procédés ancestraux. Le tisserand opère en position debout, surplombant son ouvrage.
La conception d’un seul chapeau peut prendre plusieurs jours, voire plusieurs mois pour les modèles les plus raffinés. Les techniques traditionnelles employées, perpétuées depuis des siècles par des familles paysannes de la communauté côtière de Pile – capitale du canton de Montecristi – ont fait l’objet d’une inscription au patrimoine culturel immatériel de l’humanité par l’UNESCO en 2012.
Le sombrero charro, chapeau mexicain par excellence
Le « sombrero », nom donné à un chapeau venu du Mexique – où l’on précise « sombrero charro », « charro » étant le nom donné à des cavaliers mexicains propriétaires terriens au 19e siècle, comparables aux gauchos argentins –, est aussi le terme générique utilisé pour désigner un chapeau en espagnol. Il est dérivé du mot « sombra », signifiant « ombre », en raison de son diamètre important qui offre une protection optimale contre le soleil. Mais il semblerait que sa forme ample soit spécialement adaptée au climat mexicain dans toutes ses variations, en permettant à la fois d’éviter les UV et de protéger la tête, le cou et les épaules de la pluie et du froid.
L’illustre chapeau est aussi connu que sa provenance demeure discutée. Et à ce stade, personne n’a réellement statué… Une seule chose est (à peu près ?) certaine : il viendrait d’Espagne, où l’on porte le « sombrero cordobes », avec ses bords très larges, depuis le 17e siècle. Voilà qui n’éclaire toutefois pas complètement sur l’expansion du sombrero à travers le Mexique. Certains pensent qu’on la doit à des métis européo-amérindiens qui travaillaient sous sa large protection, d’autres qu’elle est à attribuer à des cavaliers de Guadalajara qui complétèrent ainsi leur uniforme. À moins qu’il ne s’agisse de l’influence des premiers cowboys texans, ou bien encore des Philippins qui intervinrent dans le commerce intercontinental assuré par les galions de Manille ?
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Ces incertitudes planant sur le sombrero mexicain et sa prospérité expliquent probablement la grande variété de modèles existants, plus ou moins hauts et pointus, d’une région et d’une fonction à l’autre. Originellement fabriqué en paille, comme c’est encore le cas pour un usage paysan, le sombrero charro a gagné en sophistication dans des versions en feutrine ou velours. Leurs possesseurs ont le choix entre divers motifs, couleurs, broderies et autres décorations qui contribuent à rendre certains modèles uniques ou très chics.
Toutes ces déclinaisons ramènent néanmoins à la fête et à la musique, des chapeaux arborés par les mariachis à celui que portent les couples en tenue traditionnelle au moment d’exécuter la danse folklorique nationale « Jarabe Tapatío », connue comme la danse du chapeau. Pour une partie des Mexicains, sa portée est désormais essentiellement folklorique et le sombrero relève davantage du costume festif que de la tradition ancestrale. Pourtant, certains indigènes s’efforcent de préserver et perpétuer la dimension patrimoniale de cet accessoire, dont l’apogée doit beaucoup à l’âge d’or du cinéma mexicain.
Le saviez-vous ? Un sombrero peut en cacher un autre
Il existe également une version colombienne du sombrero, qui compte même officiellement parmi les symboles culturels du pays depuis 2004 : le sombrero vueltiao. Typique des savanes de Córdoba et Sucre dans la région Caraïbe, ce dernier est né à l’époque précolombienne dans les tribus indigènes Zenú, où on l’a d’abord fabriqué en blanc crème avant d’y adjoindre, bien plus tard, du noir et/ou du kaki. Pour sa conception, les Zenú utilisent les feuilles de la canne flèche, une plante endémique des régions tropicales d’Amérique et d’Afrique. Il faut ensuite les séparer en de fines tiges, non sans avoir préalablement ôté les nervures, puis cuire ces tiges vertes avec différents bourgeons de canne et d’agrumes censés leur assurer assurant consistance et élasticité.
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Après la cuisson, les tiges doivent sécher au soleil, sous l’effet duquel elles blanchissent, puis être effilochées en bandes encore plus fines, dont certaines seront teintes à l’aide de matières naturelles. Et si la main humaine et le fil d’agave ont laissé place à la machine à coudre et au fil de nylon, le fastidieux processus ne s’arrête pas là. Le nombre et la qualité des brins de fibre qui seront tressés pour fabriquer un sombrero vueltiao dépendent du modèle : 15 paires de bandes pour le « simple » quinceano, mais 27 pour le veintisiete, dont la conception peut nécessiter plusieurs semaines ! Plus le chapeau est souple et léger, plus il est considéré comme qualitatif.
Benjamín Puche Villadiego (1923-2013), chercheur à l’université de Córdoba et spécialiste de la culture Zenú, s’est notamment fait connaître pour avoir découvert la formule mathématique permettant de calculer le nombre de tresses du chapeau colombien le plus célèbre. Son ouvrage El sombrero vueltiao Zenú explore l’objet dans sa dimension mathématique, donc, mais également anthropologique, esthétique, historique et technique. Le haut de chaque chapeau est par ailleurs orné de figures tissées à la main, les « pintas » − animaux, plantes, symboles totémiques et autres emblèmes de la culture Zenú −, à partir desquelles ont peut déterminer la famille ou la communauté d’origine du sombrero vueltiao, véritable icône culturelle.
Enfin, impossible de ne pas évoquer, pour conclure, les coiffes chatoyantes des Amérindiens d’Amérique latine, qui couronnaient avec panache les premiers peuples autochtones et font encore la fierté de leurs descendants. Grâce aux plumes d’oiseaux tropicaux employées pour leur confection, des plumes iridescentes de l’oiseau mouche au plumage sacré du quetzal, jadis symbole de pouvoir chez les Aztèques et les Mayas, ces œuvres artisanales sont plus richement colorées encore que celles des populations indigènes d’Amérique du Nord. Toutes ont cependant la particularité de ne comporter que des éléments issus de la nature, quitte à faire preuve d’une remarquable ingéniosité. Ainsi, la pratique du tapirage permet de modifier la couleur des plumes d’oiseaux vivants. Chez les Enawenê-Nawé du Brésil, dans le Mato Grosso, c’est le venin de batracien qui sert à transformer des plumes vertes en plumes jaunes-rouges. Autant de procédés qui témoignent d’une grande connaissance de l’environnement et de ses ressources par les Amazoniens, dont on ne risque pas de trouver les couvre-chefs sur les étals des boutiques de souvenirs…
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