Variations autour du café d’Amérique latine et des Caraïbes

Cerises sur un caféier (© Brian Smith/American Bird Conservancy)

Du tintocolombien au cafezinho brésilien, le café est incontournable en Amérique latine. Très présent dans la culture populaire, notamment parce qu’il inspire la convivialité et le partage, il l’est encore plus dans l’économie du continent, d’où provient plus de la moitié de la production mondiale. Le volume n’empêchant pas l’excellence, on trouve quelques-uns des meilleurs cafés au monde du golfe du Mexique aux confins de l’Amazonie, un vaste territoire où les petits grains revêtent parfois de grands enjeux éthiques, écologiques ou touristiques. Voici justement quelques infos torréfiées à souhait sur le café latino-caribéen, à siroter en deux temps…

 

Part. I – La culture du café : des enjeux économiques, historiques et géographiques

Plus de 7 millions de tonnes de café sont produites chaque année à l’échelle internationale, dont 55 % sur le territoire latino-américain. Il faut dire que le Brésil, leader absolu du secteur, génère à lui seul près d’1/3 de la production mondiale annuelle. Le port de Santos, dans l’État de São Paulo, est d’ailleurs le 1er port caféier du monde. Pour le commerce du café, l’unité de mesure est le sac (de 60 kg). Et ces sacs ne cessent d’être importés et exportés partout à travers le globe : le café est la 2e marchandise la plus échangée au monde derrière le pétrole. On trouve 9 pays d’Amérique latine dans le Top 20 des producteurs de café : le Brésil (n°1, donc), la Colombie, le Honduras, le Pérou, le Guatemala, le Mexique, le Nicaragua, le Salvador et le Costa Rica.

Les chiffres du café déchiffrés

Si le continent peut se targuer d’être à l’origine de plus de la moitié des grains cultivés dans le monde, il ne constitue pas, contrairement au cacao, le berceau de la culture du café. Il faut en effet attendre le XVIIIe siècle pour que le café soit introduit sur le continent américain, notamment au Brésil et en Colombie, d’abord pour répondre à la demande européenne. Majoritairement produit au sud du globe, le café reste principalement consommé au nord. À l’exception du Brésil, aucun pays latino-américain ne figure en effet parmi les 10 plus gros consommateurs, alors même que les Pays-Bas et les pays scandinaves se partagent le podium. Enfin, il est probable que vous soyez en train de lire ces chiffres un café à la main : on estime en effet à 2,3 millions le nombre de tasses de café bues dans le monde… chaque minute !

 

Un cappuccino signé Kopenhagen, l’enseigne de chocolaterie la plus célèbre du Brésil (© Carlos Lopes)

 

Le café, on sait (à peu près) comment le boire, mais on sait moins comment on le cultive. Tout commence par un arbre, le caféier, dont les principales espèces, Coffea Arabica et Coffea Canephora, correspondent aux cafés arabica et robusta. C’est essentiellement dans les pays proches de l’équateur, qui constituent une « ceinture du café » couvrant Amérique latine, Afrique et Asie, que poussent les caféiers. Les mots « terroirs » et « crus » sont tout à fait adaptés à la culture du café, dont le goût et la qualité dépendent de nombreux facteurs : la nature du sol, bien sûr, la variété botanique, les conditions géographiques et climatiques, les méthodes employées localement… Et il y a bien des étapes à respecter avant que le café ne devienne boisson.

Dis Maman, comment on fait les cafés ?

Les fleurs du café, blanches, évoluent en fruits en 2 à 3 jours. Puis ces cerises mettent plusieurs mois à mûrir, d’abord vertes puis rouges écarlates : elles sont alors prêtes pour la récolte, qui dure entre 2 et 3 mois. Différentes méthodes de cueillette peuvent être employées : la méthode mécanique, l’égrappage (ou peigne), la cueillette manuelle (ou picking)… Cette dernière, qui consiste à ne récolter à la main et un à un que les grains bien mûrs, est la plus exigeante mais aussi la plus qualitative puisqu’elle permet une sélection rigoureuse.

Une fois les grains cueillis et extraits de leur pulpe, on recourt soit à la méthode humide dite des cafés « lavés », avec lavage, dépulpage, fermentation puis re-lavage et enfin séchage, soit à la méthode sèche, moins sophistiquée, basée sur un séchage des cerises au soleil sans processus de fermentation. Les grains, enfin prêts à être torréfiés, subissent un dernier tri avant d’être conditionnés dans des sacs de jute ou de sisal. On retrouve, sans surprise, plusieurs cafés des Caraïbes, d’Amérique centrale et d’Amérique latine parmi les plus cotés du monde. Il n’existe pas de classement officiel qui fasse référence, mais certains grands crus reviennent dans la sélection de tous les experts.

Petites productions et grands crus

Encore considéré par beaucoup comme le meilleur café du monde, le Blue Mountain de Jamaïque doit son nom au massif montagneux qui occupe le tiers occidental de l’île. Sa culture s’y limite au territoire de quelques paroisses et à une altitude bien précise : au-delà de 900 m. Le café est arrivé sur l’île au XVIIIe siècle, depuis la Martinique où Louis XV avait envoyé trois plants d’arabica dont l’un fut donné au gouverneur anglais de la Jamaïque. Les caféiers s’épanouissent depuis à l’ombre de la forêt luxuriante, produisant un café onctueux, équilibré et peu acide dont les Japonais raffolent tout spécialement.

Le très exotique Panama Geisha est moins célèbre pour son goût qu’on dit floral, profond et élégant que pour les prix records auxquels il se négocie (plus de 2,25 $ le gramme en 2019 lors d’enchères). Parfois acheté plusieurs années avant la récolte, ce produit de luxe se cultive lui aussi en altitude, dans la province de Chiriqui à la frontière avec le Costa Rica. Au Brésil, où l’on estime à 2 millions d’hectares la surface de terres occupées par les caféiers (à 80 % arabica), certains cafés émergent de la quantité pour offrir une qualité unique. Ainsi le Jacu-Bird se caractérise-t-il par une production aléatoire puisque dépendante de la digestion du jacu, un cousin du faisan friand des meilleures cerises. Lesquelles se récoltent par conséquent dans les fientes de l’oiseau. Contrairement à la civette, le petit mammifère dont l’élevage forcé pour obtenir le précieux Kopi Luwak d’Indonésie est aujourd’hui fortement décrié, le jagu demeure à l’état sauvage. Le café à son nom est apprécié pour sa longueur en bouche et la complexité de ses arômes à la fois doux et corsés.

 

Plantation dans les régions volcaniques du Guatemala (© Compte Instagram Guatemalan Coffees)

 

Difficile, enfin, d’évoquer le graal des amoureux de café sans parler du Pérou, qui figure dans le top 10 des producteurs mondiaux. Le pays offre de nombreux cafés certifiés bio et équitables qui naissent dans la forêt tropicale d’altitude des Andes Péruviennes, comme le Piémont amazonien ou encore le Cajamarca, auquel certains trouvent des notes de cacao, de cardamome et même d’agrumes. Au Honduras, les mariages entre les cépages Bourbon, Catuai, Caturra ou Typica donnent des petites merveilles de café aux notes souvent fruitées et florales. Le Vilcabamba d’Équateur, café gourmet par excellence, pousse au sud du pays dans la vallée de la longévité et rendrait centenaire. On doit les saveurs riches et subtiles du savoureux Jinotega du Nicaragua à une nouvelle génération de producteurs qui mettent en valeur leur terroir. Le canton du Tarrazú, au Costa Rica, donne quant à lui son nom à un café de qualité aux notes de baies et d’agrumes.

En Amérique latine, le café de la rue et des traditions

Partout en Colombie, par exemple, on boit le café toute la journée sous le nom de tinto (« foncé »), une boisson très sucrée et très allongée réalisée avec la pasilla, un café produit à partir de cerises de qualité moyenne. Le tinto est un café culturel que l’on partage plus qu’on ne le déguste, souvent avalé en quelques gorgées tout en palabrant. Un peu comme le cafezinho, sorte de café de bienvenue siroté au Brésil du matin au soir dans la rue, chez soi, devant les échoppes ou les stations-services… Souvent plus sucré que caféiné, ce rituel impossible à refuser incarne le Brésil dans toute sa générosité. Les puristes pourront préférer à sa dégustation rudimentaire la visite des propriétés centenaires de l’État du Minas Gerais, qui revendiquent d’excellents crus. À l’image de la maison Sertão, ce sont autant d’étapes incontournables pour qui entreprendrait la route du café brésilien.

Référence du café bio, le Mexique a vu naitre l’organisation Max Havelaar et avec elle les prémices de ce qui deviendrait le commerce équitable. Adeptes des épices, les Mexicains n’hésitent pas à rehausser de cannelle, voire d’anis, de clous de girofle ou d’écorces d’orange le café de olla, traditionnellement préparé dans un pot en terre cuite, longuement filtré et particulièrement sucré. Cette boisson réconfortante est indissociable du Día de Muertos, à l’occasion duquel elle se déguste notamment accompagnée d’une brioche en forme de crâne humain appelée pan de muerto.

 

À Xochimilco, Ciudad de México, la préparation du café de Olla dans les règles de l’art (©Marlocanez)

 

Le deuxième et dernier volet de cette newsletter à haute teneur en caféine, publié prochainement, abordera plus spécialement le café d’Amérique latine et des Caraïbes à travers la culture et notamment les aspects gastronomiques, touristiques et écologiques qu’il revêt. Restez connecté(e)s !