L’Aéropostale aurait 100 ans en 2018, découvrez une saga de Toulouse à Santiago du Chili

Les guerres ont parfois des conséquences étonnantes et l’on peut dire que l’essor de l’aviation est une conséquence directe de la 1ère guerre mondiale. En effet, en 1914, 6 ans après le succès d’Henry Farman, et 5 ans après la traversée de la Manche, l’avion est considéré comme un jouet sportif réservé à des personnages fortunés, ou encore un élément de spectacle offert aux foules dans des meetings qui passionnent toute la France. Mais personne n’envisage sérieusement son utilisation concrète.

La guerre va tout changer, d’abord en matière d’observation aérienne, avec un rôle essentiel lors de la bataille de la Marne, puis, à partir de la bataille de Verdun, le commandement lui demandant d’assurer la maîtrise de l’air. Elle fut ensuite l’arme du bombardement.
À la fin de la guerre la France disposait de 11 000 avions, dont 3 200 au combat, et de 12 000 pilotes (contre 1 000 en 1914).
Bien évidemment, les industriels souhaitaient continuer à construire des avions, soutenus par les pilotes qui voulaient poursuivre cette aventure. Il fallait donc ouvrir le marché du transport aérien.

Le premier à se lancer fut Pierre-Georges Latécoère. Ce constructeur de wagons s’était diversifié en fabricant des obus et en construisant sous licence des avions SALMSON pour l’armée.
Il envisage dès 1918 de créer une liaison aérienne entre Toulouse et Casablanca, avec pour objectif ultime la desserte de l’Amérique du sud. Cet objectif est évidemment impossible à atteindre pour l’époque, la fiabilité des moteurs étant extrêmement faible.

Il réalisera ce projet en 1919 avec Didier Daurat qui ouvrira la ligne Toulouse Barcelone le 1 septembre 1919, puis la desserte de Rabat.
En 1924, Les Lignes Aériennes Latécoère sont prolongées jusqu’à Dakar et, cette fois, ce sont les tribus maures qui posent des difficultés. Elles capturent en effet les aviateurs contraints à un atterrissage forcé sur leurs territoires et ne les rendent que contre de fortes rançons… Mermoz, entré fin 1924 aux Lignes Latécoère, sera pris en otage, ainsi que Marcel Reine et l’ingénieur Edouard Serre. Erable, Gourp et Pintado seront tués….

En 1924 et 1925 Pierre-Georges Latécoère envoie le capitaine Joseph Roig puis le prince Charles Murat assisté de Marcel Portait, tous deux administrateurs de la CGEA ( ex lignes Aériennes Latécoère), en Amérique du Sud, par bateau, avec des Breguet XIV. Les vols sont accomplis en se posant sur les plages, d’abord au sud vers Montevideo et Buenos Aires puis au nord vers Recife, avec des fortunes diverses. La mission rentre en France en juillet 1926 laissant à Rio Paul Vachet et ses avions. Reste aussi le problème d’une liaison maritime rapide sur l’atlantique sud, les avions et hydravions de l’époque n’étant pas adaptés. Au total, ces missions, pour encourageantes qu’elles soient, montrent bien les difficultés, techniques, diplomatiques, financières à vaincre. Distances immenses, besoins en capitaux considérables, gouvernements souverains, concurrence étrangère agissante.
Devant ce constat, Latécoère n’est pas à l’aise. Ses réserves financières sont comptées.

Il est à Rio le 3 décembre 1926. Il rencontre alors celui dont on l’assure qu’il peut tout faire : Marcel BOUILLOUX-LAFONT.
En effet, il prête sans réserve son concours à LATECOERE, par sympathie, et pour servir la France, ce à quoi il tient. Mais il ne connaît rien à l’aviation. Latécoère découragé par les refus brésiliens lors des discussions des contrats postaux veut repartir, non sans proposer une participation dans son affaire à Marcel Bouilloux-Lafont, qui entend mais n’accepte pas. Ses affaires l’appellent à Buenos-Aires et il convainc Latécoère d‘y aller avec lui. C’est là que va s’accomplir un miracle.

Vicente Almandos ALMONACID, grand pilote argentin et grand ami de la France, compagnon de guerre de Joseph Roig, a tout préparé. Ils rencontrent le lendemain le Président ALVEAR, qui les écoute et demande qu’un projet de contrat lui soit soumis très vite. Les trois hommes le préparent la nuit suivante et c’est ALMONACID qui le rédige. Le Président donne son aval, le contrat définitif de 21 articles sera signé le 8 février 1927, et officiellement ratifié le 16 juin. Ce succès va débloquer toute la situation, amenant le Brésil à consentir le 9 mars 1927 puis à confirmer le 6 décembre une autorisation de survol et d’emport de poste.

Latécoère rentre en France fin février 1927 avec une autre raison d’apaisement. Marcel BOUILLOUX-LAFONT, initialement sceptique a réfléchi Revenant sur sa réticence initiale il exprime son accord de principe sur l’idée de prendre le relais.
Le 11 avril 1927, la propriété de la Compagnie Générale d’Entreprises Aéronautiques passe pour 93% de Pierre Georges LATECOERE à Marcel BOUILLOUX-LAFONT. Elle prendra le 20 septembre suivant la nouvelle raison sociale de Compagnie Générale Aéropostale. L’épopée peut continuer.

En octobre 1927, Antoine de Saint-Exupéry qui avait été embauché en octobre 1926 aux Lignes aériennes Latécoère fut nommé par Didier Daurat ( directeur de l’Exploitation ) « chef d’Aéroplace » à Cap Juby/Tarfaya. Il y restera 18 mois. Ce poste de chef de relais sur la trajectoire du courrier, chargé de l’accueil des pilotes, de la maintenance des avions, et même parfois du sauvetage de ceux dont les moteurs avaient été défaillants. Le désert lui inspirera certaines des plus belles pages de son œuvre.

A partir de 1928 un service aérien, avec la partie transatlantique en bateau de Dakar à Natal, relie la France au Brésil, puis dès 1930 à l’argentine et au Chili.
C’est l’époque des exploits racontés dans le monde entier : Ainsi en 1929, en recherchant une route pour rejoindre Santiago du Chili, Mermoz accompagné de son mécanicien Collenot, se pose dans les Andes à 4000 mètres d’altitude. Ils mettront 4 jours à réparer l’appareil qui décollera dans des conditions acrobatiques et réussira à rejoindre la plaine après une ultime panne, toutes les canalisations étant gelées.
C’est Guillaumet qui sortira miraculeusement de l’enfer des Andes en juin 1930 après 4 jours et 4 nuits de marche dans la neige et dans la glace, et repartira en vol quelques jours plus tard.
En mai 1930, Mermoz avait réussi la traversée de l’Atlantique sud à bord d’un Laté 28, mais il faudra attendre 1933 pour réussir l’aller-retour avec l’Arc-en-ciel de René Couzinet. Les bateaux ne seront finalement retirés du service qu’en 1936.

Couzinet Arc en ciel, Arrivée à Buenos Aires en janvier 1933
première photographie parvenue en France de « l’arrivée de l’Arc-en-ciel à Buenos-Aires, but de son raid magnifique à travers l’Atlantique Sud : l’avion à son arrivée à l’aérodrome de la capitale de la république argentine; Autour de l’Arc-en-ciel, quelques avions militaires qui lui ont fait une escorte d’honneur ».

C’est l’époque de « l’esprit de la ligne », des grandes figures et des exploits : Didier Daurat, Directeur d’exploitation des Lignes Latécoère puis de l’Aéropostale, jean Mermoz, Henri Guillaumet, Marcel Reine, Antoine de Saint Exupéry, Paul Directeur technique d’Aeroposta Argentina, Vachet, Raymond Vanier, Jean Dabry, georges Pivot, Léo Gimié, et des nombreux pilotes et mécaniciens qui prennent tous les risques pour que le courrier passe jusqu’à Santiago du Chili. C’est ainsi que disparaissent Negrin, Pranville, et Prunetta, sur le Rio de la Plata, en allant accueillir Mermoz en mai 1930.

Si le transport aérien commercial a débuté avec le transport de courrier, celui de passagers, en plein développement, reste encore réservé à un petit nombre de privilégiés.


De 1923 à 1933, la longueur du réseau des compagnies françaises est multiplié par cinq.
En 1930, l’Aéropostale possédait 200 avions et 17 hydravions, 1500 employés dont 51 pilotes.
La crise économique des années 30, qui n’épargne pas l’Aéronautique, et la volonté politique du Ministre de l’Air, Pierre Cot, aboutissent, en 1933, à la première grande restructuration du transport aérien commercial français.

En 1933, Air Orient, Air Union, la Société Générale de Transport Aérien ( S.G.T.A. ex Lignes Farman) et la C.I.D.N.A. ( ex Franco-Roumaine), créent une société commune: la Société Centrale pour l’Exploitation de Lignes Aériennes ( S.C.E.L.A.). La nouvelle société est rebaptisée Air France, en août 1933, après le rachat des actifs de l’Aéropostale en liquidation judiciaire.

Air France est officiellement inaugurée à l’Aéroport du Bourget le 7 octobre 1933. Elle reprend l’emblème d’Air Orient, « l’Hippocampe ailé », et s’installe dans les locaux de cette dernière au 2 rue Marbeuf, à Paris. Elle reprend la plupart des personnels de l’Aeropostale et utilisera jusqu’à la guerre toutes les infrastructures Sud-Américaines créées par Marcel Bouilloux-Lafont.