De Verdi à Eric Clapton : scènes et salles mythiques d’Amérique latine

Si l’Opéra de Sidney, la Scala et le Palais Garnier ont l’habitude de tenir le haut de l’affiche, d’autres salles de spectacle figurent à leurs côtés parmi les plus belles ou les plus impressionnantes du monde. Certaines d’entre elles, remarquables par leur architecture, leur histoire ou leurs dimensions hors normes, illustrent plus particulièrement la richesse culturelle de l’Amérique latine. Dans un dossier en deux parties, la Cotal vous ouvre les portes de ces théâtres ou opéras souvent chargés d’histoire et vous dévoile ce qui les rend uniques.

 

salles mythiques d'Amérique latine

Le Teatro Colón de Buenos Aires

 

Le Teatro Colón de Buenos Aires et le Teatro Colón de Bogotá, homonymes à l’histoire glorieuse

Dans les capitales d’Argentine et de Colombie, Cristóbal Colón a donné son nom à deux théâtres qui partagent non seulement leur appellation mais aussi leur prestige et le souci, chez leurs concepteurs respectifs, de transposer en Amérique latine de parfaits théâtres à l’italienne. Le Teatro Colón de Buenos Aires, considéré comme l’un des théâtres les plus importants au monde, n’a pas à rougir de la comparaison avec le Metropolitan de New York, la Scala de Milan, l’Opéra de Vienne ou celui de Paris. Sa riche histoire, son architecture unique et ses conditions acoustiques optimales lui valent d’être reconnu internationalement et fréquenté, depuis sa création, par la crème de la musique lyrique et de la danse classique : Richard Strauss, Camille Saint-Saëns, Igor Stravinsky, Herbert von Karajan, Maria Callas, Enrico Caruso, Placido Domingo, Rudolf Noureev…

Inauguré en 1908, après une première vie dans une autre salle de 1857 à 1888, le Teatro Colón affiche un style général qu’on qualifie alors d’éclectique. Sa salle principale, en forme de fer à cheval, n’en répond pas moins aux strictes normes du théâtre classique italien et français qui font encore référence au début du XXe siècle.

 

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Une vue intérieure du Teatro Colón de Buenos Aires

 

Comme souvent pour ce type d’ouvrage, les travaux démarrés en 1890 pour s’achever théoriquement avant le quatrième centenaire de la découverte de l’Amérique en 1892 se révèlent plus longs et compliqués que prévu. Il faut finalement près de 20 ans et l’implication de 1 500 personnes pour donner vie au théâtre, dont le dôme de 318 m² comporte des peintures du français Marcel Jambon (à qui l’on doit aussi des décors de la Comédie Française, de l’Opéra de Paris et de l’Opéra-Comique). Détériorées dans les années 1930, elles ont été remplacées sous la coupole par des décors du peintre argentin Raúl Soldi en 1966.

 

Véritable écrin, le Teatro Cristóbal Colón de Bogotá fait la fierté des Colombiens depuis 130 ans

Seul théâtre national de Colombie, le Teatro Colón de Bogotá a quant à lui été achevé dans les temps pour être inauguré en 1892. Ses murs et sa scène témoignent de décennies d’histoire et d’histoires, comme le rappelle El Nuevo Siglo. Pour le 130e anniversaire de l’institution, en 2022, le quotidien national a notamment inventorié « Les 10 choses que tout Colombien doit savoir à propos du théâtre Colón » dans un article très instructif. On y apprend par exemple qu’il a fallu fonder une école dédiée pour former les plus de 160 ouvriers intervenant dans sa décoration et sa construction, laquelle a été confiée, comme celle du Capitolio Nacional, de l’Hospital San José et du Templete del Libertador, à Bogotá, à l’architecte italien Pietro Cantini.

Le journal rappelle en outre qu’il y avait, avant la construction du Colón, deux théâtres de variété sur le même site. Le président Rafael Núñez exproprie l’un d’eux en 1885 pour entreprendre la construction d’un nouveau théâtre national à l’italienne, comme en raffolent les aristocrates et comme se doit d’en avoir toute ville latinoaméricaine en pleine croissance. Parmi les autres anecdotes qui entourent celui-ci, on lit que le peintre italien qui a réalisé le rideau couvrant l’avant-scène – sur lequel on retrouve entre autres des personnages de Faust, Rigoletto et Hamlet – n’a jamais mis les pieds en Colombie, expédiant son rideau depuis l’Europe. Enfin, il fallait une centrale à vapeur dans le sous-sol du théâtre pour alimenter le plafonnier de Luigi Ramelli, déjà électrifié à la fin du XIXe siècle, et les muses grecques qui l’entourent ne sont pas neuf mais six… faute de place.

 

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(©Teatro Colón, Bogotá)

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(©Teatro Solis, Montevideo)

 

Le Teatro Solís de Montevideo, un pilier de la culture uruguayenne aux accents très européens

Lorsque germe l’idée d’ériger un théâtre à Montevideo, en 1840, l’Uruguay naissant est en pleine guerre civile postindépendance et seuls 40 000 habitants peuplent sa capitale. Parmi eux, 156 personnalités éminentes de la société locale souhaitent offrir à leur ville un théâtre de grande envergure et deviennent actionnaires d’une entreprise dédiée à sa construction. L’objectif de ces notables est de disposer d’un lieu où jouir de l’art, mais aussi « voir et être vu » dans un contexte de socialisation grandissante. Le projet de l’architecte italien Carlo Zucchi, retenu à l’origine, est revu par l’Uruguayen Francisco Javier de Garmendia pour coller aux contraintes économiques et financières d’un pays en guerre, mais pas au point de renoncer aux matériaux importés d’Europe, du bois sibérien nécessaire à la structure au marbre italien dans lequel sont taillés les chapiteaux.

salles mythiques d'Amérique latineLe Teatro Solís, ainsi nommé en référence au navigateur espagnol qui fut le premier Européen à fouler le sol de l’actuel Uruguay, est inauguré en 1856 avec une représentation de l’opéra Ernani de Verdi. La façade du théâtre, qui jouxte la Plaza Independencia, compte huit colonnes corinthiennes typiquement néoclassiques. Elle semble s’inspirer du théâtre Carlo Felice de Gênes, tandis que la salle de forme légèrement elliptique rappelle la Scala de Milan et que l’intérieur du Solís affiche des similitudes avec le théâtre Metastasio de Prato, en Toscane.

Comme l’Italie, la France apporte elle aussi sa pierre à l’édifice. On doit en effet les corps latéraux du bâtiment, qui n’y seront ajoutés qu’entre 1869 et 1874, à l’architecte français Victor Rabu. C’est également une entreprise tricolore qui fournit la structure métallique utilisée en 1882 pour remplacer celle en bois. Depuis une importante rénovation à l’orée du XXIe siècle, ce théâtre qui demeure aujourd’hui encore la principale salle de spectacle de Montevideo compte en outre deux colonnes signées de Philippe Starck et une nouvelle acoustique réputée exceptionnelle que l’on doit à un studio parisien, Avel Acoustique.

 

 

Au cœur de la forêt amazonienne, un théâtre qui témoigne de l’âge d’or de la ville de Manaus

À la fin du 19e siècle, Manaus doit sa prospérité au caoutchouc extrait des hévéas. Enrichis par son commerce, les barons locaux se montrent avides de culture et souhaitent attirer sur les rives du río Negro les grands noms de la scène lyrique. C’est dans ce contexte que sort de terre le Teatro Amazonas, construit à partir de matériaux venus tout droit d’Europe : faïences d’Alsace, pierres du Portugal, tableaux de Rome, marbre de Carrare, acier de Glasgow… Manaus la cité prodige n’est plus seulement la première ville brésilienne à se doter d’un tramway et d’un éclairage public : dès 1897, elle dispose aussi d’un opéra de plus de 700 places qui compte alors parmi les plus modernes du monde.

L’euphorie est cependant de courte durée, 1910 marquant la fin du boum du caoutchouc et avec elle celle de la splendeur d’une ville que l’on surnomme alors « le Paris des tropiques ». Le théâtre devenu musée ne renait qu’à l’occasion de son centenaire en 1997, à l’initiative d’un violoniste allemand admirateur du réalisateur Werner Herzog et de son film Fitzcarraldo, sorti en 1982. Dans l’œuvre de fiction, le protagoniste passionné d’art lyrique débarque à Manaus avec de fous projets en tête. Dans la réalité, le grand admirateur d’Herzog demande au directeur du théâtre l’autorisation d’y monter un opéra. La réponse favorable qui lui est donnée impulsera la création d’un festival annuel, le Festival Amazonas de Ópera. Depuis lors, entre avril et mai, la forêt amazonienne voit se jouer de grands opéras et se produire d’illustres artistes devant une foule d’afficionados. À quelques jours de l’édition 2022, France Musique a consacré un reportage à l’événement, à retrouver sur le site de la radio.

 

salles mythiques d'Amérique latine

Les escaliers d’accès au Teatro Amazonas de Manaus (©Marcelo Camargo / Agência Brasil via Wikimedia Commons)

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Teatro Amazonas, Manaus (© Rafael Zart via Wikimedia Commons)

 

D’autres lieux emblématiques de la musique et de la danse seront à l’honneur dans le deuxième volet de ce dossier. On verra que la culture cohabite parfois avec le sport et le divertissement, mais aussi qu’elle donne naissance à des lieux hybrides, tour à tour prouesses architecturales ou concentrés de technologie. Rendez-vous dans quelques semaines pour découvrir ces théâtres, palais et autres arènes qui assurent le spectacle.