Cinq adresses pour les amoureux des livres en Amérique latine

Librairie géniale ou bibliothèques géantes : des lieux pour lire et s’ébahir

 

El Ateneo Grand Splendid, Buenos Aires (© Deensel sur Wikimedia Commons)

 

On peut lire un livre d’une traite ou en diagonale, on peut le parcourir, le survoler, le feuilleter, le compulser, le consulter, le dévorer ou encore y plonger sans parvenir à en sortir. Bref, il y a mille façons de bouquiner et autant d’endroits pour le faire. Ce mois-ci, la Cotal vous présente cinq de ces lieux qui sont de véritables écrins pour les ouvrages qu’ils abritent. Qu’on s’y adonne à la lecture ou qu’on s’y arrête simplement pour un moment d’émerveillement, ils sont en tout cas des passages obligés pour les voyageurs lecteurs.

 

El Ateneo, ancien théâtre de Buenos Aires devenu l’une des plus belles librairies du monde

La scène a laissé place à un café, les sièges à d’interminables étagères remplies de livres, les loges à des espaces de lecture et les comédiens à des bibliophages. Jusqu’en 2000, El Ateneo Grand Splendid a compté parmi les hauts lieux de la culture porteña avant d’être converti en une librairie unique en son genre, considérée par le National Geographic comme la plus belle du monde. Rien ne prédestinait pourtant le « Théâtre national » inauguré en 1903 dans le quartier huppé de la Recoleta à accueillir les dizaines de milliers d’ouvrages que le lieu propose aujourd’hui à la vente. Et pourtant !

D’abord racheté par Max Glücksmann, émigré autrichien devenu magnat du disque, ce théâtre sans grand charme se pare d’apparats baroques pour rouvrir en 1919 sous le nom de « Grand Splendid ». S’y succèdent alors danseurs de ballets, chanteurs d’opéra et même icones du tango, à l’image de Carlos Gardel qui enregistre ici quelques-uns de ses titres sous l’impulsion du label Odéon, dont la succursale argentine a choisi le Grand Splendid pour adresse. En 1923, le théâtre voit même naître sa propre de station de radio, LR4 Radio Splendid, qui émet le premier programme radiophonique argentin. Trois ans plus tard, le cinéma y fait son apparition, marquant les débuts d’une cohabitation entre 4e, 6e et 7e arts. Dans les années 1960, le théâtre retrouve son monopole, de nouveau remplacé par le cinéma à la décennie suivante. Les films y tiendront alors le haut de l’affiche jusqu’en février 2000 et une dernière projection d’American Beauty.

 

Les rayons chargés d’ouvrages de la librairie El Ateneo Grand Splendid (© Carlos Adampol Galindo sur Wikimedia Commons)

 

La même année, la conversion en librairie s’opère après des travaux de restauration et d’adaptation. La librairie El Ateneo Grand Splendid est inaugurée le 4 décembre 2000. Elle est depuis de tous les palmarès : parmi les « cinq librairies qui valent le voyage » pour Le Monde, les « dix meilleures librairies indépendantes du monde » pour The Guardian, les « dix plus belles librairies du monde » pour Vanity Fair… Elle reçoit à présent jusqu’à 5 000 personnes par jour parmi lesquelles de simples curieux mais aussi d’authentiques clients puisque, comme le dit l’adage local, « si está, está en El Ateneo ». Ce qui n’a rien d’étonnant, cette adresse désormais culte – qui se visite virtuellement à 360° – revendiquant aujourd’hui près de 100 000 références en rayon.

 

À Rio et Mexico, deux superbes bibliothèques plébiscitées par les lecteurs du Financial Times

En juin dernier, le prestigieux Financial Times consacrait un article aux plus belles bibliothèques du monde, sélectionnées par ses lecteurs. On y trouve deux adresses latinoaméricaines : le Real Gabinete Português de Leitura, à Rio de Janeiro, et la Biblioteca Vasconcelos, à Mexico City. La première, avec ses présentoirs en jacaranda de style néogothique, n’est pas sans rappeler aux fans d’Harry Potter celle de Poudlard. La deuxième, ouverte en 2006, affiche un style bien plus contemporain avec ses étagères métalliques littéralement suspendues et sa structure d’acier, de marbre, de bois et de granit signée Alberto Kalach et Juan Palomar.

Le cabinet royal portugais de lecture est installé dans un édifice de style colonial typique du centre de Rio, sur la façade duquel s’affichent Vasco de Gama et Pedro Álvares Cabral, entre autres explorateurs venus du Portugal. Il faut dire que l’on doit la construction de cette bibliothèque majestueuse à une association d’immigrés portugais qui, en 1837, ont décidé de promouvoir dans leur pays d’accueil la culture de leur pays natal. L’empereur Pedro II en pose la première pierre en 1880, soit sept ans avant l’inauguration du bâtiment. Ce dernier n’est ouvert au public que vingt ans plus tard, en 1900.

Depuis lors, la bibliothèque du Cabinet Royal revendique la plus grande collection d’œuvres portugaises hors du Portugal avec 350 000 ouvrages pour la plupart reliés en cuir, dont certains très rares. Elle est désormais un passage obligé pour les touristes qui s’attardent dans le cœur historique de Rio et viennent admirer sa salle de lecture aux allures de cathédrale, son dôme en vitraux, son lustre monumental et ses étagères en bois ornées. On en apprend plus sur le Real Gabinete Português de Leitura sur son site officiel, lequel propose aussi une visite virtuelle des lieux et une vidéo de présentation modestement intitulée « la plus belle bibliothèque du monde ».

 

Le plafond du Real Gabinete Português de Leitura, à Rio de Janeiro (©Donatas Dabravolskas sur Wikimedia Commons)

 

Une petite partie du Real Gabinete Português de Leitura (©Donatas Dabravolskas sur Wikimedia Commons)

 

Au nord de Mexico, la bibliothèque Vasconcelos a été érigée dans un quartier défavorisé jusqu’alors considéré comme un désert culturel. Son objectif est précisément de favoriser l’accès à la lecture des habitants à travers des projets éducatifs et une grande variété d’activités gratuites : consultation d’ouvrages et de ressources numériques, ateliers, représentations théâtrales, visite du jardin botanique, récitals de musique, cycles cinématographiques…

 

Les étagères suspendues et les passerelles de la Biblioteca Vasconcelos, à Mexico (© Jorge Mendoza sur Wikimedia Commons)

 

Mais les curieux peuvent également s’y rendre pour l’architecture aussi magistrale qu’harmonieuse des lieux, dont le plafond et les murs de verre favorisent l’éclairage naturel. Le clou de la visite est sans conteste l’œuvre de Gabriel Orozco intitulée Mátrix Móvil, située dans l’espace central et constituée d’un squelette (peint) de baleine grise provenant de la réserve de biosphère d’El Vizcaíno à Baja California Sur. Si l’endroit a séduit les lecteurs du Financial Times, d’autres titres emblématiques le présentent eux aussi comme un incontournable pour qui voyage au Mexique, à commencer par l’édition française de Vogue dans un article paru en 2021.

 

La bibliothèque publique Virgilio Barco, à Bogotá, fierté locale et chef-d’œuvre architectural

Depuis 2001, la capitale colombienne compte l’une des plus belles bibliothèques du continent sud-américain. Dessinée par l’architecte franco-colombien Rogelio Salmona, à qui l’on doit plusieurs œuvres aujourd’hui considérées comme indissociables du patrimoine culturel de la Colombie – le Musée d’art moderne de Bogotá et le Centre culturel Gabriel García Márquez, par exemple –, la Biblioteca Pública Virgilio Barco doit son nom à celui qui fut président du pays de 1986 à 1990. Elle se trouve dans le district de Teusaquillo, notamment connu pour abriter le parc métropolitain Símon Bolívar, poumon vert de Bogotá, que les habitants fréquentent pour ses 16 kilomètres de sentiers et ses grands événements, parmi lesquels concerts et festivals.

Sur le site officiel du tourisme colombien, qui précise non sans malice que le binational Rogelio Salmona s’est toujours considéré Colombien, cette bibliothèque ceinte de miroirs d’eau figure évidemment parmi les spots à visiter dans la capitale. Riche d’une collection de 150 000 volumes, de salles spécialisées et d’un auditorium qui peut recevoir 300 personnes, elle revêt une grande importance culturelle, éducative et sociale auprès de la communauté locale. Mais c’est surtout à son architecture, largement détaillée dans un article d’ArchDaily, qu’elle doit sa renommée internationale.

 

Vue aérienne de la Biblioteca Pública Virgilio Barco, à Bogotá (©Xxaljxx sur Wikimedia Commons)

 

Ce site spécialisé bien connu des architectes et des designers revient non seulement sur sa structure circulaire pour le moins originale, dont les trois niveaux reliés par des rampes tout aussi courbes rappellent la forme d’un escargot, mais aussi sur l’intégration harmonieuse à son environnement et le soin apporté par le créateur des lieux à la fluidité de la circulation à travers les différents espaces. Une vue aérienne et plusieurs clichés signés Simon Bosch illustrent ce reportage bien documenté, qui aide à se figurer la valeur ajoutée architecturale de la bibliothèque Virgilio Barco. Le site de l’organisme en charge des bibliothèques publiques de la ville, BiblioRed, en offre en outre une visite en 3D.

 

À Lima, au Pérou, une bibliothèque nichée au sein d’un monastère franciscain du XVIIe siècle

Plus étonnante encore, la dernière bibliothèque de notre sélection a la particularité de se trouver au cœur d’un ensemble monastique situé dans le centre historique de Lima, inscrit avec lui sur la liste du Patrimoine mondial de l’Unesco depuis 1991. Composé d’un couvent aux dimensions remarquables, de deux églises et d’un temple, l’édifice religieux de style colonial est célèbre pour abriter aussi des catacombes prisées des touristes ainsi qu’une très belle bibliothèque, généralement désignée comme « La Bibliotecadel convento de San FranciscodeLima«  mais parfois présentée en français comme celle du « Monastère de Saint-François d’Assise« .

Bien que les photos et vidéos y soient interdites, on peut l’apercevoir dans un reportage réalisé en 2016 par l’agence de presse Agencia de Noticias Andina. On estime à plus de 20 000 les textes qui y sont aujourd’hui conservés, dont certains, à l’image du premier dictionnaire de l’Académie royale espagnole apporté au Pérou ou d’ouvrages de philosophie, de théologie, de littérature, de musique ou encore de psychologie rédigés au XVe siècle dans plusieurs langues, revêtent un intérêt majeur sur le plan religieux mais aussi historique et culturel.

 

Biblioteca del Convento de San Francisco de Lima (page Facebook Perú barroco)

 

Enfin, les visiteurs encore en quête d’émerveillement pourront s’offrir un petit bonus à quelques encablures de là. Plus confidentielle mais tout aussi impressionnante avec ses 25 000 volumes et son décor somptueux, la Biblioteca del Convento de Santo Domingo de Lima a elle aussi pour spécificité d’être sise dans un couvent.

 

Biblioteca del Convento de Santo Domingo de Lima (page Facebook Perú barroco)

 

L’Amérique latine n’ayant évidemment pas l’apanage des belles salles de lecture, nous ne saurions que trop vous recommander, en guise de conclusion, la consultation de l’ouvrage de Massimo Listri intitulé Les plus belles bibliothèques du monde, édité par Taschen et paru en 2018. Un beau livre sûrement disponible sur commande auprès de votre libraire, mais aussi consultable… à la bibliothèque !